Coeur artificiel Carmat : une innovation née dans les Yvelines
C’est une société francilienne qui est à l’origine de cette première mondiale médicale qui fut d’abord une épopée scientifique et
industrielle. Carmat, basée à Vélizy-Villacoublay (Yvelines), a rendu possible le projet porté depuis plus de vingt ans par le professeur Alain Carpentier, son fondateur. C’est dans les laboratoires de la société qu’a été réalisé l’assemblage de la prothèse. <btn_noimpr>
Cette PME ne s’attendait pas à être sous le feu des projecteurs aussi vite, et a dû rendre publique plus tôt que prévu l’intervention « en raison de fuites et pour ne pas alimenter les rumeurs ». Une autorisation pour un essai dit de faisabilité avait été accordée le 24 septembre par l’Agence nationale de sécurité du médicament. Carmat devait attendre que les quatre patients retenus pour cet essai clinique aient été opérés pour faire une annonce.
Un organe mis au point en collaboration avec EADS
« Cette implantation s’est déroulée de façon satisfaisante, la prothèse assurant automatiquement une circulation normale à un débit physiologique », écrivait, hier, la société Carmat dans un communiqué. « Nous nous réjouissons de cette première, mais il serait bien entendu prématuré d’en tirer des conclusions, car il s’agit d’une seule implantation et d’un délai post-chirurgical encore très court », précisait Marcello Conviti, directeur général de Carmat, dans ce même document. Des essais cliniques ont également été autorisés en mai dans quatre autres pays : la Belgique, la Pologne, la Slovénie, l’Arabie saoudite.
L’élaboration de cet organe artificiel est le fruit d’un rapprochement avec le groupe EADS, leader européen de l’aéronautique et de l’espace, qui a mis son expertise technologique au profit du professeur Carpentier. Celui-ci avait mis sur la table son expertise médicale et notamment son invention des valves cardiaques Carpentier-Edwards, qui sont les plus implantées au monde. Avec ces valves, fabriquées à base de tissus animaux, il a ainsi trouvé le moyen d’éviter les rejets et la formation de caillots, fréquents dans les transplantations ou l’introduction de valves mécaniques. Pour ce cœur artificiel, le même procédé est utilisé.
Entrée en Bourse en juin 2010, la société a ainsi pu dégager des fonds pour développer cette innovation. A terme, Carmat envisage de vendre son cœur artificiel autour de 160000 €, une somme tout à fait raisonnable car proche du prix d’une greffe « classique », selon Carmat. La prise en charge par l’Assurance maladie devra également être négociée. Le marché est d’environ 100000 patients par an dans le monde, soit 16 Mds€.
Coeur artificiel : « C’est une nouvelle ère qui s’ouvre »
Le professeur Jean-Noël Fabiani, chef du service de chirurgie cardio-vasculaire de l’Hôpital européen Georges-Pompidou.
Comment s’est passée cette opération hors norme ?
Jean-Noël Fabiani. Elle a duré une dizaine d’heures, mercredi. C’est le fruit des efforts d’une équipe qui travaille sur ce projet depuis vingt-cinq ans. Le mérite en revient en premier au professeur Alain Carpentier, concepteur de ce premier cœur artificiel total. Je suis très fier que cette prouesse ait eu lieu en France, dans le service public, à l’hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris, et très heureux que cela se soit passé dans mon service. L’équipe comprenait notamment le professeur Christian Latrémouille, le professeur Daniel Duveau, avec le professeur Bernard Cholley et le docteur Denis Méléard, réanimateur. C’est un signe fort de l’excellence de la chirurgie française.
Comment se porte le malade ?
Il va bien mais reste sous observation. Il est réveillé et peut dialoguer avec sa famille. Même s’il faut forcément rester prudent avec ce type d’opération extrêmement lourde, au moins pendant les premières semaines. Mais nous sommes optimistes.
Expliquez-nous ce que ce cœur artificiel a de vraiment nouveau ?
La différence principale, c’est qu’il est définitif. Tous les autres prototypes jusque-là étaient temporaires et nécessitaient, par la suite, la pose d’une greffe cardiaque. Celui-ci reproduit quasiment à l’identique le fonctionnement d’un cœur humain, les battements de cœur vont au même rythme que précédemment. Son originalité — grâce aux travaux du professeur Carpentier — est d’être entièrement réalisé avec des matériaux biologiques, sans risque de rejet, avec des capteurs qui s’adaptent aux besoins du patient. C’est une prouesse, car le cœur humain est l’une des machines les plus compliquées qui soient !
Quels sont les enjeux pour les malades ?
L’insuffisance cardiaque sera l’épidémie du XXIe siècle. Pour une partie de ces patients, fortement atteints, le cœur artificiel pourra être une solution. Cela permettra de résoudre les problèmes de pénurie de greffes cardiaques. On en réalise 200 par an en France, mais cela ne couvre pas tous les besoins des patients. Car il n’y a pas assez de greffons. Avec ce cœur artificiel, c’est une nouvelle ère de la chirurgie cardiaque qui s’ouvre. De nombreux pays voulaient être les premiers, dont les Américains, et pourtant cela a été réussi chez nous !
Les félicitations de François Hollande
«Ce jour était attendu depuis des années», démarre François Hollande avant de rendre un hommage appuyé au Pr Alain Carpentier, « vous dont la vie chirurgicale est semée d’innovations marquantes au service de votre spécialité», ainsi qu’à la société Carmat et à l’intervention des professeurs Fabiani, Latremouille et Duveau, nommément cités.
«Certes, des questions demeurent. Mais cette prouesse médicale, qui est en réalité une découverte technique, constitue un espoir formidable pour les patients qui souffrent d’une insuffisance cardiaque évoluée» ajoute le chef de l’Etat dans sa lettre, qu’il conclut par une note manuscrite : «Avec toutes nos félicitations et notre reconnaissance».
SC