LE PLUS VIEIL ADN HUMAIN JAMAIS SÉQUENCÉ

C’est le plus vieux génome appartenant à un représentant du genre Homo jamais séquencé. Et pour cause, puisque cet ADN, prélevé sur un fémur retrouvé dans une grotte de Sima de los Huesos, située sur le site préhistorique de Atapuerca (Espagne), a entre 300 000 et 400 000 ans. Soit beaucoup plus que les échantillons d’ADN humains d’homininés séquencés jusqu’ici, tous âgés de moins de 100 000 ans.

Cette véritable prouesse, qui est à mettre à l’actif du célèbre généticien Svante Pääbo (Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology à Leipzig, Allemagne), a été publiée le 4 décembre 2013 dans la revue Nature, sous le titre « A mitochondrial genome sequence of a hominin from Sima de los Huesos ».

Mais ce n’est pas tout. Car cette performance inédite fait apparaître une nouvelle zone d’ombre dans l’histoire humaine. En effet, l’analyse de cet ADN mitochondrial vieux de 300 000 à 400 000 ans (l’ADN mitochondrial permet de reconstituer l’ascendance maternelle des individus) révèle l’existence d’un lien génétique complètement inattendu avec… l’homme de Denisova, un mystérieux représentant du genre Homo aujourd’hui disparu, dont l’existence a été découverte en 2010 avec la découverte d’ossements vieux de 40 000 ans environ dans le sud de la Sibérie.

Pour bien comprendre l’enjeu de cette découverte, il nous faut d’abord nous intéresser à l’identité de l’homininé dont est issu l’ADN mitochondrial séquencé par Svante Pääbo. Cet homininé appartient à un groupe de 28 individus, dont les ossements ont été mis au jour au cours des années 1990 dans cette même grotte du site préhistorique de Sima de los Huesos. Des ossements attribués à Homo heidelbergensis, une espèce aujourd’hui éteinte que les paléoanthropologues n’ont jamais bien réussi à définir précisément, qui a vécu en Afrique et en Europe entre -600 000 et -200 000 ans.

Or, il se trouve que Homo heidelbergensis présente de nombreux traits communs avec l’homme de Neandertal. Si bien qu’il est d’ailleurs même souvent considéré comme une forme précoce de l’Homme de Neandertal.

En raison de la présence chez Homo heidelbergensis de traits proches de ceux de l’homme de Neandertal, les scientifiques s’attendaient donc logiquement à ce que l’analyse génétique de ce fémur révèle l’existence d’une forte proximité avec l’Homme de Neandertal.

Et pourtant ! Loin de révéler cet étroit lien génétique entre Homo heidelbergensis et Neandertal, l’analyse de cet ADN mitochondrial a en réalité montré que cet Homo de la grotte de Sima de los Huesos était génétiquement bien plus proche de l’Homme de Denisova que de l’homme de Neandertal. Ce que les auteurs de l’étude ont découvert en comparant cet ADN mitochondrial à d’autres ADN appartenant à l’Homme de Neandertal, l’Homme de Denisova, et l’homme moderne.

Mais au fait, qui est l’Homme de Denisova ? Il s’agit d’une espèce aujourd’hui éteinte du genre Homo, qui a cohabité avec l’homme de Neandertal et l’homme moderne, et dont l’existence a été révélée en 2010 par une analyse génétique menée par le même Svante Pääbo, également auteur de cette nouvelle étude.

A l’heure actuelle, l’Homme de Denisova demeure une énigme pour les paléoanthropologues, principalement parce qu’ils ne disposent pour l’instant que de très rares ossements lui étant attribués. En effet, ces ossements se résument à une phalange d’auriculaire appartenant à un enfant de 7 ans, et à quelques dents. Ces ossements, datés entre 30 000 et 48 000 ans, ont été retrouvés avec quelques objets dans la grotte de Denisova, située les montagnes de l’Altaï (sud de la Sibérie).

Quels enseignements tirer de cette proximité génétique inattendue entre les ossements découverts dans la grotte espagnole de Sima de los Huesos, et l’Homme de Denisova ? Selon Pääbo, ce résultat suggère que les Homo de la grotte de Sima de los Huesos seraient en réalité les ancêtres communs de l’Homme de Denisova et l’Homme de Néandertal.

Mais alors, si les Homo de la grotte de Sima de los Huesos sont les ancêtres communs de l’Homme de Denisova et l’Homme de Néandertal, comment expliquer que Neandertal ne soit pas aussi proche génétiquement de cet ancêtre commun que l’homme de Denisova ? Svante Pääbo a une explication : l’ADN mitochondrial n’étant transmis que par la mère, sa présence au sein d’une population s’amenuise à chaque fois qu’une femme n’a pas de fille. Il est donc possible d’imaginer que cet ADN mitochondrial a disparu chez Neandertal de cette manière, alors qu’il subsistait dans le même temps chez l’Homme de Denisova…

Une hypothèse certes séduisante, mais qui ne pourra être sérieusement testée que si les généticiens parviennent à extraire de l’ADN nucléaire des ossements des Homo présents de la grotte de Sima de los Huesos. En effet, contrairement à l’ADN mitochondrial, l’ADN nucléaire permet de reconstituer non seulement les lignées maternelles, mais également les lignées paternelles.

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