Une équipe de neurologues japonais a mis au point un dispositif capable de deviner, de façon sommaire, le contenu des rêves de volontaires.
S’il est un serpent de de mer bien connu dans l’univers de la recherche scientifique, c’est bien celui de la machine à visualiser, voire à enregistrer, les rêves. Si une telle machine n’existe pas, et ce pour longtemps encore malgré ce que la malencontreuse affaire de l’interview de Moran Cerf avait pu laisser croire (en 2010, le neurologue américain Moran Cerf avait été interviewé par un journaliste de la BBC, un entretien au terme duquel le journaliste avait affirmé à tort que Moran Cerf préparait la fabrication d’une machine permettant d’enregistrer les rêves, une information qui avait fait le tour du monde en quelques heures), on se souvient toutefois des travaux publiés en 2011 dans la revue Current Biology par ces chercheurs de l’université de Californie (Berkeley, Etats-Unis), lesquels avaient conçu un programme informatique capable de reconstituer en vidéo les images visionnées par des volontaires. Une performance qui, de l’aveu même de ces chercheurs, laissait entrevoir à terme la possibilité de disposer un jour d’un dispositif permettant d’enregistrer nos rêves…
Dernier épisode en date dans le feuilleton de la machine à enregistrer les rêves, la prouesse réalisée par une équipe de neurologues et d’informaticiens japonais du laboratoire ATR Computational Neuroscience (Kyoto, Japon), dont les détails viennent d’être publiés dans l’éditiondu mois d’avril 2013 de la revue Neural Computation, au sein d’un article intitulé « Modular Encoding and Decoding Models Derived from Bayesian Canonical Correlation Analysis« . Une prouesse, puisque Yukiyasu Kamitani et ses collègues sont ni plus ni moins parvenus à concevoir un dispositif capable de deviner, dans les grandes lignes, la nature des images visualisées par une personne en train de rêver. Des travaux qui font le tour des médias internationaux depuis quelques jours, mais dont il faut toutefois noter que la teneur avait été révélée dès octobre 2012 lors du congrès annuel de la Society for Neuroscience, organisée à La Nouvelle Orléans (États-Unis).
Pour concevoir ce dispositif capable de deviner les images visualisées par une personneen train de rêver, les chercheurs japonais ont analysé le sommeil de trois volontaires sur une période de plusieurs semaines, en étudiant leur activité cérébrale tout à la fois par imagerie àrésonance magnétique fonctionnelle (un dispositif capable d’étudier l’activation des différentes aires cérébrales du cerveau au cours du temps), et par électroencéphalographie (EEG).
Au cours de ces expérimentations, chaque volontaire était réveillé par les scientifiques dès que les ondes cérébrales, rapportées par l’électroencéphalographe, indiquaient qu’il était entré dans une phase de rêve. Les chercheurs lui demandaient alors à quoi il était en train de rêver, puis le volontaire pouvait se rendormir.
Ces expérimentations, organisées en périodes de trois heures, ont été répétées entre sept et 10 fois à des jours différents, pour chaque participant. Au cours de chaque période, les participants étaient réveillés dix fois par heure. En moyenne, les volontaires étaient capables de raconter la scène qu’ils étaient en train de rêver sept fois par heure. Ce qui, au final, a permis aux chercheurs de disposer de quelque 200 « rapports de rêve ».
Une fois munis de ce matériel, les chercheurs ont ensuite qualifié le contenu de chaque rapport de rêve à l’aide de 20 catégories, tels que «voiture», «masculin», «féminin» ou encore «ordinateur».
Puis les chercheurs ont associé chaque catégorie à une photographie. Ces 20 photographies ont été alors visionnées par les trois volontaires, tandis que leur activité cérébrale était à nouveau analysée via imagerie à résonance magnétique fonctionnelle. Les données recueillies ont ensuite été comparées avec celles enregistrées juste avant le réveil des participants, afin de repérer des motifs caractéristiques dans l’activation cérébrale, susceptibles d’être associés à telle ou telle catégorie visuelle.
Imaginons par exemple un volontaire ayant initialement rapporté un rêve incluant une voiture (il s’agit d’un objet correspondant à l’une des catégories utilisées par les chercheurs) : lorsque ce dernier a été amené à visionner la photo de voiture, les chercheurs japonais ont comparé l’activation de ses aires cérébrales relevées lors du visionnage de la photo, avec les données qui avaient été recueillies durant le rêve de la voiture. En répétant ce travail avec plusieurs rêves différents, ce travail de comparaison leur a permis in fine de repérer un schéma d’activation cérébrale « type » associée à la catégorie « voiture ».
Résultat ? Yukiyasu Kamitani ont réussi à mettre en place un dispositif capable de prédire avec une bonne fiabilité la présence de telle ou telle catégorie visuelle dans un rêve. Selon les chercheurs, le procédé est par exemple capable de deviner, avec une précision de 75 à 80 % si un homme est présent dans le rêve.
Un point intéressant de cette étude est que les aires cérébrales étudiées par les chercheurs appartiennent tout à la fois aux aires du cortex visuel dites de niveau inférieur, soit les zones impliquées dans la détection de caractéristiques telles que le contraste, et aux aires visuelles dites de niveau supérieur, notamment impliquées dans la reconnaissance d’objets. Or, jusqu’ici, il n’était pas certain que l’analyse de l’activité des aires visuelles de niveau supérieur pouvaient permettre de reconstruire les images effectivement visualisées. Avec cette étude, c’est donc aujourd’hui chose faite.
Il est à noter que Yukiyasu Kamitani et ses collègues n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils sont en effet à l’origine de nombreuses publications dans ce domaine depuis le début des années 2000, comme le révèle l’abondante liste des publications de Yukiyasu Kamitani.
Ainsi, en 2008, Yukiyasu Kamitani avait déjà montré que le décodage de l’activité cérébrale sise dans les aires visuelles de niveau inférieur d’un individu en train de visionner une image, pouvait permettre de reconstruire cette image (article « Visual Image Reconstruction from Human Brain Activity using a Combination of Multiscale Local Image Decoders« , publié dans la revue Neuron).