Affaire Thomas Sankara : si seulement Thomas Sankara pouvait revenir sur terre !
15 octobre 1987-15 octobre 2017. Il y a de cela 30 ans que l’icône de la Révolution burkinabè tombait sous le coup de l’assassinat dont le principal cerveau (présumé) est le non moins célèbre ivoiro-burkinabè Blaise Compaoré, le numéro 2 de cette même révolution. 30 ans, c’est une génération qui est déjà passé et depuis, l’on traîne non seulement à identifier la tombe de Thomas Sankara mais aussi à faire jaillir la lumière sur ce coup d’État perpétré pour « rectifier la révolution ». Aujourd’hui, le désormais ancien président Blaise Compaoré est en exil en Côte-d’Ivoire et sous mandat d’arrêt international. L’une des figures dont le témoignage pouvait aussi faire évoluer le dossier Thomas Sankara s’est éteint le samedi 19 août à Paris. A quand le bout du tunnel ?
Le citoyen burkinabè qui se présente devant un autre citoyen étranger est souvent flanqué par cette expression : « Ah oui, vous venez du pays de Thomas Sankara ! », enfin… pour ceux qui s’échinent à connaître l’histoire de l’Afrique Noire ou les panafricanistes. Mais la réalité nous ramène vite à l’évidence : le dossier Thomas Sankara n’a toujours pas d’issue et ce, trente ans après le fameux coup d’Etat pour la rectification de la révolution. Revenons sur les faits récents en lien avec ce dossier.
En effet, le dimanche 1er octobre 2017, le journal Burkina Info sur sa page facebook relaie la version des faits d’un des principaux suspects de cette affaire, en l’occurrence, le général Gilbert Diendéré depuis la Maison d’Arrêt et de Correction des Armées (MACA) : « Je n’étais pas au courant d’une quelconque opération contre Sankara. J’ai été informé après les événements, comme Blaise, qui était malade, chez lui, quand cela est arrivé ». Selon toujours le journal relayant les propos du général, « aucun ordre » n’a été donné à Hyacinthe Kafando (meneur du commando qui a tué Sankara) qui jouissait « d’une certaine autonomie ». En clair, Hyacinthe Kafando aurait agi de son propre gré. Mais pourquoi alors Blaise Compaoré s’est proclamé président après le coup d’État et a dès lors commencé la chasse aux sorcières ?
Cette seule question en dit long déjà sur le caractère alambiqué de ce dossier qui tarde à voir le bout du tunnel. Le président Roch Marc Christian Kaboré (RMCK) dans un de ses tweets le 02 octobre 2017 confiait que « les justiciables burkinabè attendent des acteurs de la justice que le droit soit rendu en toute exemplarité et de manière impartiale ».
[insérer ici la capture du tweet]
Il est important de noter le contexte de ce tweet. C’était à l’occasion du lancement de la collecte de fonds pour le Mémorial Thomas Sankara initié par le Comité international Mémorial Thomas Sankara (CIM-TS). Le président RMCK était présent à cette cérémonie et beaucoup d’observations y ont déjà une certaine politisation de la chose. Certains ont même refusé de collaborer avec ce collectif au motif qu’il faille rendre d’abord justice à ce « père » de la Nation burkinabè avant tout propos. Et les acteurs de la justice, qui sont les premiers visés, n’ignorent pas certainement le rôle qui leur est dévolu : rendre justice et de manière impartiale. Ce n’est ni moins, ni plus qu’un rappel. Mais ce que le président actuel du Burkina Faso oublie est lui et certains membres de son parti ont pendant longtemps collaboré avec les premiers accusés de ce dossier, même s’ils ont décidé de « plus dîner avec le diable ». Et comme le rappelle l’artiste musicien Tiken Jah, « le sorcier oublie toujours mais les parents de la victime n’oublient jamais », même si le sorcier venait à se rallier du côté de la victime. Et les victimes, ce sont d’abord la famille de Thomas Sankara qui ne sait pas jusqu’à présent où se trouve réellement la tombe de celui-ci et toute cette jeunesse qui s’identifie à cette icône de la lutte pour l’indépendance réelle de l’Afrique. Une jeunesse qui ploie d’ailleurs sous le fardeau du chômage chronique, que les politiques manipulent à bon gré et qui regrette l’ère Thomas Sankara qu’elle n’a pas connue pour la plupart !
Et pendant que nous bouclions cet article, nous apprenions la mise en liberté provisoire du général Djibril Bassolé, une mise qui n’a pas manqué encore d’enflammer la toile et de choquer plus d’un. Qu’à cela ne tienne, les justiciables attendent très impatiemment l’aboutissement de ce dossier après 30 ans de galère et de tâtonnement. Il faudra le faire vite avant que la grande faucheuse n’intervienne encore et n’emporte avec elle un des éléments essentiels de ce dossier comme elle l’a déjà fait avec Salifou Daillo.
Quand justice sera réellement rendue à Thomas Sankara ? Pourquoi tant de léthargie ? Avec la question du terrorisme qui vient s’ajouter et la lecture politique actuelle, on est bien parti pour attendre encore pendant un quart de siècle. Les principaux suspects seront alors jugés à titre posthume.
En attendant, que chacun cultive son jardin.
Aris Somda