Comment booster sa volonté

Comment booster sa volonté

Le contrôle de soi fait l’objet de nombreusesrecherches : elles visent à comprendre comment 
une partie de soi-même tente de dominer l’autre.

Chercher à contrôler sa colère alors que l’on a envie d’exploser (« allons calme-toi, ne t’énerve pas, écoute et ne réponds pas tout de suite »), à contrôler ses envies (« ne te ressers plus ! »), à prolonger un effort (« ne flanche pas, plus que deux kilomètres avant la ligne d’arrivée »), à se concentrer sur une tâche difficile alors que l’on est attiré par d’autres sollicitations : voilà ce qui relève du self-control.

Le self-control, c’est l’autre nom de la volonté. Confrontés aux épreuves ou aux tentations, les humains se démènent pour essayer de contrôler la bête qui est en eux. Michel Foucault appelait « gouvernement de soi » les pratiques d’autodiscipline prônées par les anciens pour ne pas céder aux tentations et aux idées obsédantes qui les accompagnent. Ces « techniques de soi » sont des« procédures comme il en existe sans doute danstoutes les civilisations, qui sont opposées ou prescrites aux individus pour (agir) en fonction d’un certain nombre de fins, et cela grâce à des rapportsde maîtrise de soi sur soi ou de connaissance de soi sur soi (1) ». 

L’étude scientifique du self-control connaît un essor important depuis une décennie. Elle s’inscrit dans le cadre de plusieurs courants de recherches : l’étude des addictions (comment résister aux tentations de fumer, boire, trop manger…) ; la psychologie du sportde haut niveau (pour gérer son effort, dompter son stress) étudie l’autoapprentissage ou « métacognition » (comment se concentrer, ne pas se disperser) (2). L’étude du self-control a aussi des implications philosophiques : s’interroger sur la maîtrise de soi, c’est poser la question de la nature de la volonté et du moi agissant (3). 


Un champ de recherche en expansion

L’étude du contrôle de soi fait aussi l’objet d’études dans le cadre de l’économie comportementale. Les chercheurs qui étudient les comportements de consommation, par exemple, ont vite été confrontés aux comportements d’achats jugés « irrationnels » du point de vue du modèle « standard » de l’économie. Comment expliquer qu’un consommateur puisse céder à des impulsions d’achat soudaines alors que l’utilité de cette nouvelle paire de chaussures ou de ce gadget électronique est loin d’être évidente ? Comment comprendre le surendettement de certains consommateurs qui continuent à acheter des choses inutiles tout en sachant que leur compte est dans le rouge ?

Le problème de l’irrationalité a été formulé par les psychologues et les économistes sous le nom de « conflit entre préférences temporelles ». Ce conflit exprime en fait un dilemme que nous éprouvons tous entre choix à court et à long terme : à long terme, j’aimerais arrêter de fumer mais à court terme, je crève d’envie d’allumer une cigarette ; à long terme, je voudrais faire des économies mais à court terme, je veux absolument cette veste en cuir ; je me suis juré de travailler tous les soirs jusqu’à mon examen mais ce soir, il y a une série télé que je ne veux pas manquer ! En fait, il n’est pas facile de définir nos envies car il y a conflit entre ce qui est enviable à long terme et désirable à court terme. Ce qui coûte maintenant sera profitable demain. Ce que je désire pour l’avenir est coûteux aujourd’hui.

L’expérience marshmallow

L’étude sur les dilemmes des préférences temporelles a commencé au milieu des années 1960 avec la célèbre série d’expériences de Walter Mischel : les Stanford marshmallow experiments. Des enfants sont installés devant une table avec unmarshmallow (ou un cookie) en face d’eux. L’expérimentateur explique à l’enfant que s’il attend son retour sans le manger, alors il en aura un deuxième en récompense, puis il quitte la pièce. L’enfant se retrouve alors seul pendant quelques minutes face à ce dilemme : avaler tout de suite la friandise ou se retenir un peu dans le but d’en avoir plus. Les images de ces expériences ont fait le tour du Web : on y voit les enfants grimacer, tourner les yeux, mettre la main devant la bouche, froncer les sourcils, renifler du bout du nez, puis secouer la tête devant l’objet de leur convoitise… Certains résistent, d’autres craquent.

Cette expérience fondatrice a donné lieu par la suite à de nombreuses autres du même type. Le modèle, connu sous le nom de « paradigme de Mischel », est le suivant : on propose par exemple de donner vingt euros à une personne ou trente si elle attend la semaine suivante. La raison voudrait que chacun attende dès lors que la promesse est garantie. Qu’importe ! Beaucoup de gens préfèrent finalement empocher la somme tout de suite : en somme, ils acceptent de perdre dix euros pour rien ! Ce manque de self-control illustre bien ce que les tenants de l’économie comportementale appellent un « biais », c’est-à-dire une erreur de jugement. En matière de consommation ou d’épargne, ces biais sont courants. Ils attestent de la difficulté à faire preuve de self-control quand on désire vraiment quelque chose. Cela dit, les résultats de toutes ces expériences sont loin d’être univoques : certains enfants ne craquent pas devant le marshmallow, des consommateurs savent raison garder, des gourmands réussissent à perdre du poids. Même les poules disposent d’un certain self-control (encadré p. suiv.). Quelle est donc la nature de ce self-control ? Où se trouve-t-il dans le cerveau ? Et peut-on le renforcer ?

La « science » du self-control

Dans les années 1950, Burrhus F. Skinner avait déjà décrit toute une série de techniques mentales de self-control, dérivées de la psychologie behavioriste, dont il était le chef de file (4). Ainsi, la technique de l’autoencouragement consiste à se parler fort à soi-même (comme le font les athlètes pendant l’effort). Une autre technique consiste à transformer mentalement ses stimuli : plutôt que de considérer une tâche ingrate comme un pensum (remplir sa feuille d’impôt), on l’envisage sous l’angle du défi personnel (« chiche que tu le fais en une demi-heure ») : le jeu, aiguillonné par l’esprit de compétition, prend alors le dessus sur le mortel ennui. On peut aussi, à l’inverse, manipuler ses émotions par des stimulations aversives en associant une activité plaisante à une alarme (comme les messages écrits sur les paquets de cigarettes). Parmi les conditionnements volontaires pour s’encourager à agir contre ses désirs, B.F. Skinner n’hésitait pas à encourager l’usage de drogues : le café, le thé, mais pourquoi pas d’autres stimulants plus forts qui aident à prolonger l’effort et la résistance ? Autre technique éprouvée pour éviter les tentations : distraire son attention en faisant autre chose ou encore écarter de sa vue les objets de convoitise. Autre truc : la technique des bons points (token economy) consistant à s’attribuer un bon point à chaque fois que l’on a accompli une petite épreuve ne lui paraissait pas réservée aux seuls enfants : l’adulte pouvait s’en servir aussi pour se récompenser de ses efforts – dix bons points et un petit cadeau à la clé…

Depuis B.F. Skinner, d’autres techniques de contrôles de soi sont issues des thérapies comportementales et cognitives (TCC). Elles reposent pour la plupart sur la prise de conscience et la modification de ses pensées intérieures (p. 36). Par exemple, remplacer des messages inadaptés qui poussent à la démission (« ce soir, je regarde le film et demain, je mets les bouchés doubles ») par des messages plus adaptés et plus accessibles (« non, je commence aujourd’hui par une toute petite tâche et je m’accorde une petite récompense »).

Au fil du temps, à force d’exercices, on parvient ainsi à progresser dans ses capacités d’endurance face aux efforts. Roy Baumeister, l’un des spécialistes du domaine, soutient que le self-control fonctionne exactement comme un muscle : plus on l’entraîne, plus il progresse (5). Mais comme un muscle aussi, il faut savoir gérer ses efforts. Les expériences qu’il a menées ont montré que quand on sollicite trop son self-control, il se fatigue et, à terme, finit par flancher : ce moment ou l’on craque s’appelle l’« ego depletion » ou « effondrement du moi ». En conséquence, il faut savoir utiliser son self-control avec discernement, comme les sportifs savent gérer leur fatigue et leur effort pour ne pas s’écrouler au milieu de la course.

Pour R. Baumeister, la comparaison de la volonté avec un muscle n’est d’ailleurs qu’une métaphore. Des études neurobiologiques ont montré que l’effort de volonté consomme du glucose, comme tout autre effort physique ou intellectuel. Lorsque le taux de glucose dans le sang chute, alors la résistance de la volonté va chuter.

Comment contrôler
mes envies

Le problème du self-control consiste à s’imposer ici et maintenant une privation, un effort pour une récompense qui ne viendra que plus tard. Mais il n’est pas facile de se mobiliser pour une récompense lointaine et donc abstraite. D’où l’idée d’utiliser ces capacités d’anticipation (se projeter mentalement dans le futur) pour se faire de l’avenir un allié. Voilà ce que proposent des chercheurs de l’université de Buffalo (États-Unis) dans une étude publiée en septembre 2013 dans Psychological Science.

Les chercheurs soutiennent que l’on peut renforcer notre self-control en utilisant notre capacité à se projeter dans le futur (6). Les participants de l’expérience sont invités à se projeter mentalement dans le futur (d’une façon différente que le message habituel : « Demain promis je fais un régime »). Il s’agit plutôt de s’imaginer la récompense déjà là : se voir sur la balance, voir son poids espéré s’afficher sur l’écran, et savourer par avance ce plaisir. Cette petite scène imaginaire doit agir comme une sorte de gratification par anticipation qui peut aider à contrebalancer le coût immédiat de la privation. Dans une étude antérieure publiée, Leonard Epstein et ses collègues de Buffalo avaient déjà montré qu’en apprenant à simuler le futur, les gens peuvent améliorer leur capacité à jouer avec les gratifications présentes et ultérieures pour mieux maîtriser leur conduite. Le voyage en pensée, bien utilisé, serait donc un outil au service du self-control.

L’étude du self-control est aujourd’hui une discipline très fertile, donnant lieu à une prolifération de recherches. Il existe désormais un Handbook of Self-Regulation (7), une encyclopédie consacrée à l’étude des mécanismes psychologiques, des bases neurobiologiques et des traits de personnalité associés, des failles de la volonté. Howard Rachlin parle même de « science du self-control » (8).

L’étude du self-control est révélatrice d’une société d’abondance : les individus, tourmentés par des sollicitations venues de toute part – alimentation, produits de consommation, objets de distraction –, tentent désespérément de lutter pour garder le contrôle de leur vie.

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