Des Carolingiens au fond d'un puits gallo-romain

Des Carolingiens au fond d’un puits gallo-romain

Dans l’un des puits gallo-romains d’un petit village de Bourgogne, les archéologues de l’INRAP ont retrouvé 30 cadavres d’époque carolingienne.

Une image en haute résolution de l’une des strates du puits d’Entrains-sur-Nohain prélevée par la sociétéCaptair.

Captair

Captair

Le prélèvement des données archéologiques aujourd’hui est aussi numérique. Les archéologues ont fait appel à l’entreprise Captair pour réaliser des relevés photogrammétriques de haute résolution, c’est-à-dire des jeux de clichés ensuite superposés par triangulation informatique de pixels communs. La résolution obtenue ainsi est de l’ordre du micromètre.

Captair

Stéphanie Hollocou/INRA

La fouille des puits est une opération très technique et dangereuse, non seulement parce que les cuvelages anciens peuvent s’écrouler, mais aussi parce que les gaz plus lourds que l’air –le dioxyde de carbone émis par le groupe électrogène du chantier par exemple – peuvent s’y accumuler et les transformer en pièges mortels.

Les archéologues sont les sauveurs acharnés de notre patrimoine, mais aussi de notre mémoire à long terme. Au fond d’un puits antique, une équipe de l’INRAP dirigée par Stéphane Venault vient de retrouver les traces d’un crime ou d’une épidémie du Moyen Âge : un charnier de 20 à 30 corps.

De qui s’agit-il ? Les chercheurs ne l’ont pas encore déterminé. Ils fouillaient 1 000 mètres carrés d’un quartier de la ville gallo-romaine d’Intaranum (aujourd’hui Entrains-sur-Nohain, dans la Nièvre) situé au Nord-Ouest du territoire des Éduens, le grand peuple gaulois qui occupait une région recoupant largement la Bourgogne actuelle à l’époque de la guerre des Gaules. Là, ils ont mis en évidence la présence ancienne d’ateliers de forge, d’un tronçon de voie romaine, de maisons en pierre dotées de petits thermes privés alimentés en eau par des puits. Pour terminer la fouille, S. Venault et ses collègues ont décidé d’étudier le remplissage de deux puits, ce qui a précipité l’intervention de l’équipe de spécialistes de la dangereuse fouille des puits Archéopuits (voir l’image ci-contre en bas).

Dans l’espace restreint du puits (1,30 m de diamètre) et à quatre mètres de profondeur, les chercheurs commencent par exhumer deux grosses clefs… et des squelettes humains. Le puits antique semblait donc avoir été réemployé en tant que tombe plus ou moins clandestine pour se débarrasser de corps. Un cas fréquent. Ensuite toutefois, ils exhument ensuite os après os sur trois mètres d’épaisseur (image du haut). Beaucoup ont été écrasés par les sédiments, mais certains d’entre eux sont encore en connexion anatomique, ce qui prouve que ce sont des corps entiers qui ont été jetés là, et non des ossements dont on aurait voulu se débarrasser pour, par exemple, libérer une nécropole saturée. De fait, il devient clair que les 20 à 30 corps ont été jetés dans le puits simultanément, de sorte qu’ils s’y sont stabilisés dans diverses positions : les uns adossés à la paroi, d’autres sur le ventre, les membres repliés ou déboîtés.

La présence d’hommes, de femmes et d’enfants, dont certains très jeunes, prouve aux archéologues qu’ils ont affaire à un groupe issu d’une population civile. Or la datation au carbone 14 conduit à attribuer ce charnier au IXe siècle, tandis que le puits est gallo-romain, de sorte que c’est du village d’époque carolingienne d’Entrains et non de l’importante agglomération d’Intaranum que ces morts proviennent.

Que s’est-il passé ? Deux hypothèses viennent à l’esprit : une épidémie ou un massacre. Les archéologues sont sur plusieurs pistes et à l’affût d’indices pouvant les orienter. S’agissant de la piste épidémiologique, il est clair que le choléra ou la peste peuvent dévaster une petite communauté en quelques jours et produire des masses de cadavres devant être enterrés très vite, par exemple dans un vieux puits. Toutefois, dans cette hypothèse, on s’attendrait à ce que le puits soit ensuite scellé par de la chaux afin d’empêcher que les morts ne puissent encore contaminer les vivants. Ce n’est pas le cas à Entrains-sur-Nohain.

Reste alors l’hypothèse d’exactions commises par une armée ou une bande armée. Les chercheurs ont consulté des médiévistes, et il s’avère qu’une bataille importante – la bataille de Fontenoy-en-Puisaye – a eu lieu à 25 kilomètres au Nord d’Entrains en 841. Conséquence de la guerre civile liée à la succession du fils de Charlemagne Louis le Pieux (778-840), elle aurait, selon les chroniqueurs de l’époque, laissé plusieurs dizaines de milliers de morts sur le champ de bataille. Un tel ordre de grandeur implique que de grandes armées ont été stationnées dans les environs du lieu de la rencontre guerrière, qui, comme c’était alors l’habitude, vivaient probablement en bonne partie sur l’habitant. Le contenu du puits d’Entrains traduit-il le sort que réservaient les soldats impatients aux villageois qui rechignaient à fournir assez vite leur grain, leurs vaches, leurs moutons, leurs canards, voire leurs jeunes femmes ?

Une autre possibilité serait que le puits ait été rempli de corps par une bande de brigands qui, après s’être acharnés sur un village pour le piller, a effacé les traces de ses crimes. Dans ce cas, l’événement, lié à l’insécurité générale qui régnait à certaines époques du Moyen Âge, sera difficile à reconstituer. Sauf, peut-être, si un indice venait à révéler que les brigands en question étaient des pirates vikings. En effet, Louis le Pieux eut fort à faire pendant son règne pour affronter les raids des Scandinaves. Or les Vikings ne pillaient pas que les villes fluviales : il leur arrivait de descendre de leurs bateaux, de constituer des armées, puis de se lancer dans de sanglants raids. Ainsi après avoir pillé Orléans et l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire vers 856, les Vikings de la Loire, dirigés par leur chef Hasting, lancèrent une expédition vers le Massif-Central et auraient pillé Clermont-Ferrand en 862. On ignore où ils ont lâché le navire pour le cheval et la route. Comme Entrains-sur-Nohain est situé à moins de 30 kilomètres du cours moyen de la Loire près de la source du Nohain, un affluent de la Loire sans doute navigable sur une partie de son cours par de petites embarcations, on peut imaginer qu’une faction viking ait attaqué le village d’Entrains. Les archéologues enquêtent. Affaire à suivre.

(Visited 9 times, 1 visits today)