Le lapin chinois perturbe la NASA dans l'espace

Le lapin chinois perturbe la NASA dans l’espace

Ça y’est, Yutu gambade depuis plus d’une semaine à la surface de la Lune autour de sa maîtresse Chang-E posée le 14 décembre dernier…

L’histoire est belle ! Chang’E est la déesse chinoise de la Lune, femme de l’archer immortel Hou Yi qui permit à la Terre de survivre en supprimant 9 des 10 soleils qui « cuisaient » notre globe. En punition, l’Empereur de Jade, maître des Cieux, père des 10 soleils, condamna le couple à devenir mortels et à vivre sur Terre (quelle horreur…). Heureusement, la Reine de l’Ouest leur donna un élixir qui, s’il était partagé par les deux époux, leur redonnerait vie éternelle. Chang-E n’a bien sûr pas respecté les consignes et a tout bu, la transformant elle en déesse, lui en simple mortel sur Terre ; exilée de la Terre, le seul refuge qu’elle trouva fut un palais désert sur la Lune, avec pour seule compagnie un lapin de jade.

Et on y arrive, Yutu est ce fameux lapin de jade apothicaire dont le destin est de piler inlassablement l’élixir d’immortalité de sa maîtresse dans son mortier… On le reconnaît, paraît-il, dans la forme des mers sur la Lune (soyons francs, je ne sais pas si l’image n’a pas été arrangée…). L’équipage d’Apollo 11 eut d’ailleurs pour mission de repérer « une très jolie fille chinoise avec un gros lapin » et Michael Collins répondit alors « OK, on gardera un œil sur la fille au lapin ».

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Plus sérieusement, Chang-E 3 et Yutu s’inscrivent dans la logique claire de l’exploration lunaire des chinois (voir à ce sujet l’excellent livre de mon ami Philippe Coué « La Chine veut la Lune » chez A2C Médias)

La mission est ambitieuse, première sonde à se poser sur la Lune depuis 1976 avec un grand nombre de capteurs en tous genres.

L’atterrissage (oui, j’assume ce terme qui est le générique pour tout corps céleste) s’est parfaitement déroulé le 14 décembre, avec, pour la première fois sur un atterrisseur, un algorithme de détection des obstacles sur le lieu d’atterrissage, permettant de corriger en temps réel le site du posé pour éviter tout gros caillou ou petit cratère déstabilisant (Armstrong l’avait fait à la main lors de l’atterrissage du module lunaire d’Apollo 11). On notera un commentaire impeccable de nos collègues chinois en temps réel, avec de très belles images et un anglais parfait ; ne nous trompons pas, il y a dix ans, nous ne rencontrions jamais un seul expert capable de baragouiner 3 mots dans la langue de Shakespeare ; aujourd’hui, ils sont tous pro en anglais et en Powerpoint !

Le déploiement de Yutu (120 kg) s’est déroulé ensuite sans anicroche, avec un procédé original : l’astromobile (= rover, appellation officielleFrance-Terme) s’est d’abord déplacé sur une plateforme articulée qui s’est ensuite abaissée jusqu’à la surface. Ses six roues lui ont alors permis de s’éloigner de l’atterrisseur, et la mission scientifique proprement dite a pu commencer, très riche.

Still image taken from video shows China's first moon rover, Yutu, or Jade Rabbit, on the lunar surface

Bon, mais la NASA dans tout ça ?

La NASA a lancé le 7 septembre dernier une sonde de 383 kg destinée notamment à l’étude de l’atmosphère lunaire (très beau lancement depuis Wallops Island suivi visuellement depuis une large portion de la côte Est des Etats Unis, notamment Washington et New-York). LADEE (Lunar Atmosphere and Dust Environment Explorer), placée sur une orbite très basse à 50 km d’altitude, a pour mission de caractériser l’environnement gazeux et particulaire de la Lune.

Il n’y a pas d’atmosphère à proprement parler, la pression étant comparable au meilleur vide atteignable dans nos grandes chambres d’essais, et la masse totale de cette atmosphère est de l’ordre de 25 tonnes pour la totalité de la surface de la Lune (non, il n’y a pas de bruit sur la Lune, le régime gazeux étant en « moléculaire libre » avec des distances très importantes entre molécules, interdisant de fait toute transmission d’une onde de pression).

Il s’agit en fait essentiellement du dégazage des roches lunaires sous l’effet du vent solaire, de la radiation solaire et des impacts de micro-météorites qui arrachent temporairement des particules qui restent un temps en suspension avant de retomber à la surface. Le cycle jour-nuit joue un rôle important que doit précisément vérifier LADEE. On peut signaler au passage une liaison par laser entre LADEE et la Terre avec un débit record de 622 Mb/s, exploit technique remarquable.

Pour en revenir au sujet initial, le problème vient naturellement du fait que Chang-E3 et dans une moindre mesure Yutu viennent fortement perturber les mesures de LADEE. L’atterrissage de Chang-E3 a soulevé un nuage de poussières très important : la gravité lunaire est bien plus faible que celle sur Terre (1/6ème environ) donc la vitesse de satellisation est relativement faible (1700 m/s) ; lors de l’atterrissage de Chang-E3, les gaz propulsifs du moteur de la sonde étaient éjectés à plus de 3000 m/s, certes perpendiculairement à la surface de la Lune, mais ont été défléchis par la surface (sinon il y aurait eu concentration de matière) donc éjectés à grande vitesse parallèlement à la surface de la Lune. Une part significative a dû partir à très grande vitesse et retomber loin, voire même être orbitée. La NASA estimait qu’un atterrissage de LEM lors des missions Apollo impactait la moitié de la surface lunaire… Du coup, LADEE risque d’observer les éjectas de Chang-E3 pendant un certain temps.

Les américains ont d’abord réagi négativement, en soulignant qu’il était très regrettable que la mission chinoise perturbe ainsi leur propre mission, puis se sont ressaisis rapidement en parlant d’opportunité unique pour étudier la diffusion dans l’atmosphère lunaire d’un élément perturbateur, depuis son émission jusqu’à sa disparition.

D’un point de vue non scientifique, l’atterrissage chinois sur la Lune a également entraîné de très nombreux commentaires. Il a d’abord ravivé le regret de l’absence américaine à la surface de la Lune, avec les sous-entendus classiques d’exploitation des richesses de notre astre échappant aux américains « China on the Moon is not the issue. The issue – and the problem – is that the United States is not on the Moon, nor planning to return there to harvest resources necessary to build and profit from the inevitable transportation system to be built in cislunar space » écrit Paul Spudis, un géologue planétaire américain influent.

Il y a même une controverse lancée par Glenn Reynlods, un professeur de droit spatial américain, qui souligne comment les chinois pourraient profiter de cette mission pour s’approprier une partie de la Lune, à l’encontre des traités internationaux….

La cerise sur le gâteau en matière d’irritation vient d’une gaffe des chinois faite lors de la présentation de la maquette de Yutu lors du dernier salon de Shanghaï signalé par Damien Hypolite sur le site de Science et Avenir.L’image derrière Yutu représente une belle Terre bleue, avec un champignon atomique au-dessus de l’Europe… Bon, c’est certainement une erreur d’aiguillage dans une banque d’images, mais c’est une négligence sans doute regrettable dans le contexte actuel de « conquête spatiale » et d’utilisation des ressources des espaces infinis qui nous entourent…

De tels épiphénomènes ne manqueront pas d’arriver à nouveau dans les années qui viennent : les chinois ont un programme sérieux d’exploration et d’utilisation de l’espace, pragmatique et lent, mais en apparence bien engagé. Chaque étape future donnera à nouveau matière à controverses, allant peut être jusqu’à un Taïkonaute foulant la surface de la Lune vers 2030… Ces frictions n’ont certainement pas lieu d’être ; la guerre froide n’est plus le moteur technologique des années 60, et d’un point de vue scientifique la NASA enchaîne des missions toutes plus bluffantes les unes que les autres (CuriosityMessenger, Juno, etc…), tout comme l’Europe (on s’est quand même posés sur Titan !… et on s’apprête avec Rosetta à le faire en 2014 sur une comète qu’on suivra lors de son passage au périhélie !), ou comme le Japon (Hayabusa avec le premier retour d’échantillons d’astéroïde). Il nous faut donc prendre garde de ne pas réagir de façon épidermique sur des thèmes de souveraineté, de suprématie technologique ou de conquête à des fins lucratives… qui n’ont vraiment pas leur place dans le contexte de prouesses techniques et d’avancées scientifiques faites par la communauté internationale dans son ensemble. Arrêtons de comparer, et admirons  !

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