« Je tiens mon élan intellectuel du Séminaire, mon endurance de mon passage à l’Université de Ouagadougou, et la grandeur de mes ambitions de mon aventure à Genève » (Samson Dabiré, doctorant)
Si vous ne pouvez retenir ce visage, eh bien retenez bien ce nom. Il s’agit de Samson Dabiré, ce doctorant burkinabè à l’Université de Genève et qui fait la fierté de tout un pays. Comme le dit si bien Pierre Corneille, « aux hommes bien nés, la valeur n’attend point le nombre d’années ». A ce titre, Samson Dabiré, alias Koro Sam, vient de graver, en juillet 2016, son nom dans le Palmarès du prestigieux Institut international des droits de l’homme de Strasbourg en tant que 1er sur les 200 candidats environ au diplôme de droit international et de droit comparé des droits de l’homme. Il devient le troisième burkinabè a décroché ce diplôme après M. Séni Ouédraogo (actuellement Professeur et directeur de l’ENAM) et M. Hébié Mamadou (actuellement enseignant à l’Université de Leiden). Il est désormais un ‘’maîtrisard’’ du système onusien et des systèmes régionaux des droits de l’homme. Cette excellence, il avoue l’avoir obtenue de son récent défunt père et de son passage au Petit séminaire saint Tarsicius de Diébougou. De passage à Ouagadougou, c’est un homme plein de détermination que nous avons rencontré.
SCI : Pouvez-vous vous présenter ?
S.D : Je suis DABIRE Samson Mwin Sôg Mè, doctorant en droit et assistant d’enseignements et de recherches au département de droit public de l’Université de Genève (Suisse).
SCI : Qu’est-ce qui vous a inspiré à jeter votre dévolu sur le droit dès votre arrivée à l’Université de Ouagadougou après votre bac que vous avez décroché avec la mention très bien ?
S.D : Une rectification, j’ai ardemment cherché la mention très bien au bac, mais malheureusement je suis passé juste à côté. J’ai eu la mention bien avec deux premiers prix (en Français et en Histoire) aux Olympiades nationales.
Pour mon option du droit, je dois avouer que c’est plutôt par une sorte de simple conformisme social ou de grégarisme qu’un choix délibéré préalablement muri. Je suis allé en droit parce que j’ai trouvé des « grands frères » du Petit Séminaire Saint Tarsicius (où j’ai fait tout mon cycle post-primaire) qui étaient en faculté de droit et qui m’ont convaincu que le droit était une bonne option, qui ouvre de très grandes opportunités. Quand je préparais mon bac, j’ambitionnais plutôt faire des études de lettres modernes ou de philosophie. Mais je me suis laissé convaincre à la dernière minute que le droit était la filière à embrasser. Dans tous les cas pour moi, l’essentiel a toujours été d’exceller dans tout ce qu’on fait. Je me souviens, après le BEPC, j’avais hésité entre la série littéraire et la série scientifique, pour finalement me rabattre sur la série A4 parce que c’est ce que le Séminaire offrait (tout autre choix m’aurait contraint à quitter l’internat). Pour moi, l’option a souvent importé peu ; l’impératif, c’est l’excellence.
Candidature pour une bourse au CIOSPB sans suite
SCI : En 2012, vous vous retrouvez à Genève pour poursuivre vos études en droit international ? Comment vous en êtes-vous arrivez là ?
S.D : Mon aventure à Genève est née d’une rencontre avec un « grand frère » SOMDA Magloire qui est actuellement doctorant à Paris II Sorbonne (et à qui je dis grand merci pour tout ce qu’il a fait et fait pour moi). Il était de passage à Ouagadougou quand je finissais ma licence ; on a eu des échanges très fructueux ; il a été séduit par mes performances académiques à l’Université de Ouaga II et m’a rassuré qu’aucune université européenne ne refuserait une demande de candidature venant de moi. De retour à Paris, il m’a demandé de candidater pour un master à l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève et pour un second Master d’études avancées à l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains de Genève. Ce que j’ai fait, mais sans trop grande conviction parce que je n’avais que la licence et les programmes étaient en anglais. A ma grande surprise j’ai eu l’admission pour les deux universités sous réserve de faire la preuve de mon niveau suffisant en anglais par le TOEFL. Ce que j’ai fait. J’ai alors fait acte de candidature pour une bourse au CIOSPB, demande qui n’a malheureusement jamais eu de suite (comme les deux autres demandes que je ferai ultérieurement pour financer mes recherches de doctorat). Heureusement que l’Académie de droit humanitaire et de droits humains m’a accordé entre temps une bourse (financée par la Fondation suisse Wisdorf, que je remercie au passage). C’est ainsi que je me suis retrouvé à Genève pour un LLM en droit humanitaire et en droits de l’homme que j’ai très bien réussi (comme tout bon étudiant burkinabè à l’extérieur d’ailleurs) avec même le prix de meilleur mémoire de l’année.
« Les débuts à Genève n’ont pas été faciles »
SCI : Vous vous retrouvez dans un pays loin des vôtres et qui n’a pas forcément la même culture que la vôtre. Parlez-nous un peu des difficultés que vous avez rencontrées au cours de ce parcours (non encore achevé) à l’Université de Genève.
S.D : Les débuts de l’aventure à Genève n’ont pas été faciles. Pour des questions de visa, j’ai rejoint le programme de master avec un mois de retard. Il fallait donc rattraper le retard, sans oublier que le programme était en anglais pour un étudiant venant d’un système purement francophone. A cela, il faut ajouter le climat qui n’est pas clément pour un sahélien, le dépaysement et après quelques moments, la nostalgie de la famille, des amis. Mais avec un peu de courage et assez de détermination, j’ai pu surmonter les différentes épreuves et l’année a été couronnée de succès. Après le Master, j’ai été admis en octobre 2013 pour une thèse de doctorat que je faisais parallèlement avec un certificat en droit transnational. La grande difficulté était maintenant d’ordre financier, puisque ma bourse de 2012 n’était que d’une année, juste pour le master. Il fallait maintenant conjuguer labeur académique et petits boulots pour financer les études et tenir le coût de la vie à Genève (qui est des plus chers au monde). Avec assez de détermination, tout s’est bien passé jusqu’à ce que je sois recruté assistant au département de droit public de l’Université de Genève.
SCI : Vous venez de décrocher, en tant que major, au mois de juillet le diplôme de droit international et de droit comparé des droits de l’homme. Pouvez-vous nous en dire un peu davantage ?
S.D : L’Institut international des droits de l’homme de Strasbourg décerne sélectivement chaque année un diplôme de droit international et de droit comparé des droits de l’homme aux candidats qui auront réussi les différentes étapes de l’examen qu’il organise (le diplôme a été créé en 1971 et n’a été décerné à ce jour qu’à 211 candidats représentants 67 pays). Il s’agit de ces types de diplômes que certaines prestigieuses Universités ou Académies de renom décernent dans des branches spécifiques du droit à des candidats qui auront fait la preuve de connaissances très approfondies dans le domaine (on a par exemple, le diplôme de droit constitutionnel de l’Académie internationale de droit constitutionnel de Tunis, le diplôme de droits de l’homme du European University Institute de Florence ou le diplôme de droit international de l’Académie de droit international de la Haye, etc.). Le diplôme de l’Institut de Strasbourg, dont j’ai été cette année l’un des lauréats, évalue les connaissances des candidats en droit international et leur maîtrise des systèmes régionaux et universel des droits de l’homme. L’évaluation se fait en plusieurs étapes. Il y a d’abord une présélection sur dossier, puisque ne peuvent prendre part aux épreuves écrites que les candidats qui ont au moins un niveau de Master ou un niveau jugé équivalent. Cette année 49 candidats – de diverses origines – ont été présélectionnés. Ensuite il y a une phase écrite, précisément une dissertation de 5h, à l’issue de laquelle les candidats ayant obtenu la note d’au moins 12/20 sont sélectionnés pour la suite de la compétition. Des 49 candidats au départ, 5 ont cette année été jugés aptes à poursuivre la compétition après la phase écrite. Puis vient une phase de plaidoirie orale : chaque candidat tire au sort un cas pratique qu’il doit plaider, après 24h de préparation, devant un organe faisant office de juridiction régionale de droits de l’homme. Moi, j’ai plaidé devant la Cour européenne des droits de l’homme. A l’issue de cette phase, 3 sur les 5 candidats ont été sélectionnés pour la dernière phase finale, qui est le « grand oral ». Le grand oral consiste en un exposé-discussion que chaque candidat présente devant un jury sur un sujet qu’il aura tiré au sort et qu’il aura préalablement préparé en 2h sans aucun document. C’est à l’issue de cette phase finale que le jury a estimé que les trois candidats méritaient le diplôme. J’ai donc été reçu 1er suivi de deux dames de l’Île française de la Réunion. Sans fausse modestie, il s’agit d’un prestigieux diplôme qui sanctionne la maîtrise que j’ai du système onusien et des systèmes régionaux (africain, européen, interaméricain et arabe) des droits de l’homme et qui boostera sans nul doute ma future carrière académique ou de praticien du droit. C’est la troisième fois que le Burkina Faso inscrit son nom dans le Palmarès de l’Institut international des droits de l’homme de Strasbourg (il l’avait fait en 2007 avec Séni Ouédraogo (actuellement Professeur et directeur de l’ENAM, puis en 2009 avec Hébié Mamadou (actuellement enseignant à l’Université de Leiden et cette année avec votre fidèle serviteur).
« Je dois une très grande part de mon élan intellectuel et de ma personnalité à mon passage dans cet établissement »
SCI : Avez-vous souvenance de votre passage au petit séminaire Saint Tarsicius où vous étiez censé mûrir votre vocation pour devenir prêtre un jour ?
S.D : J’ai très bonne souvenance du Petit Séminaire Saint Tarsicius où j’ai fait tout mon cursus secondaire, de la 6ème à la Terminale. Je dois une très grande part de mon élan intellectuel et de ma personnalité à mon passage dans cet établissement. Le Séminaire m’a beaucoup donné et je suis très reconnaissant aux professeurs et à tous ceux que j’ai rencontrés pendant ces sept ans dans ce lieu saint. J’y étais allé initialement parce que je me sentais appelé pour la vie sacerdotale. Effectivement j’ai été appelé mais – malheureusement – je n’ai pas été élu ou du moins j’ai découvert que ma vocation était peut-être ailleurs que dans la vie consacrée (le Séminaire est avant un lieu de discernement de vocations). J’ai donc préféré, après mon baccalauréat, continué à l’Université plutôt qu’au Grand Séminaire. Mais je garde un très bon souvenir de Saint Tarsicius, des liens forts avec mes professeurs, et une amitié de fer avec mes promotionnaires dont deux seront ordonnés prêtres en décembre de cette année. J’aime à le dire : je tiens mon élan intellectuel du Séminaire, mon endurance de mon passage à l’Université de Ouaga, et la grandeur de mes ambitions de mon aventure à Genève.
« … le droit africain connaît le mécanisme de dérogation »
SCI : Vous préparez un doctorat de droit dont le thème est «Les états d’exception et la dérogation aux droits de l’homme en Afrique » en cotutelle entre les universités de Genève (Suisse) et de Ouaga II (Burkina). Qu’est-ce qui justifie ces différents choix ?
S.D : La dérogation aux droits de l’homme est un mécanisme qui permet aux Etats, pendant des périodes de crise qui menacent leur existence, de suspendre certaines de leurs obligations en matière de droit de l’homme, pour et le temps de résorber la crise. J’ai découvert pendant mon master en droit des conflits armés et droits de l’homme, que la plupart des systèmes régionaux (interaméricain, européen et même arabe) de droits de l’homme consacrent des clauses de dérogation. Le système africain (avec la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples) ne consacre pas la possibilité de suspendre les droits de l’homme pendant les situations exceptionnelles de crise. Ce silence est interprété (par la jurisprudence et une partie de la doctrine) comme n’autorisant pas la dérogation dans le système africain. Après certaines recherches toutefois, ma thèse voudrait soutenir le contraire : le droit africain connait le mécanisme de la dérogation. Il n’est certes pas uniforme et formalisé dans la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, mais il a une base normative et une réalité. C’est un sujet qui me permet d’explorer le droit africain de crise ou d’état d’exception aussi bien dans ses aspects de droit interne (constitutionnel notamment) que de droit international, mais aussi de me pencher sur la conjugaison « crise et droits de l’homme » en Afrique et en droit africain. Je travaille sur cette thématique parce que le droit de crise ou dans la crise me passionne de façon générale, mais aussi parce que le droit africain a de grandes richesses, des spécificités et une philosophie qui méritent d’être toujours davantage révélées. Ces recherches me permettront aussi sans doute de voir comment le droit africain peut contribuer à la résorption des crises en Afrique.
« Mon retour au Burkina Faso n’est sujet à aucun doute »
SCI : Vous êtes le fondateur et le président du Café Juridique de l’Université de Ouagadougou. De quoi s’agit-il et quel est votre rôle à proprement parler ?
S.D : Le Café Juridique est un cadre de débats sur des questions de droit que j’ai mis en place en 2012 avec quelques amis et promotionnaires de la faculté de droit de l’Université Ouaga II. Le Café organise des procès fictifs et simulés, des débats sur des questions d’actualité juridique, des formations aux différents concours de droit (magistrature, CAPA, etc.). Le but du Café est d’initier et d’intéresser les étudiants au débat juridique et à l’art oratoire et de contribuer à leur donner la passion du droit. Notre devise au Café est d’ailleurs « Soyons passionnés du droit, soyons la passion du droit ». Le café fonctionne bien ; les petits frères de la faculté de droit assurent avec merveille la relève chaque année. C’est l’occasion pour moi ici de leur réitérer sans cesse mes remerciements pour leur sacrifice dans ce sens. Mon rôle en tant que président, c’est d’assurer la coordination des différentes activités du Café Juridique.
SCI : Pensez-vous revenir au Burkina Faso, votre pays et mettre vos compétences à la disposition du peuple burkinabè ?
S.D : Même si je ne peux connaître demain, mon retour au Burkina Faso, en l’état actuel de mon esprit, n’est sujet à aucun doute. J’y retournerai une fois bien outillé intellectuellement, puisque telle est la raison de ma présence actuelle à l’extérieur, pour me mettre au service de mon pays. Ce n’est donc qu’une question de temps.
SCI :Un fait triste qui vous pince certainement le cœur est le décès de votre père en fin mai dernier. Quel souvenir avez-vous de votre père ?
S.D : Je garde de mon père plus que de très bons souvenirs. Il nous a armés, mon frère et moi, des valeurs de rigueur, d’abnégation au travail, de courage, de compassion, d’humour et d’amour. J’ai appris de lui que le travail n’est pas labeur mais œuvre et que l’excellence n’est pas une option mais un impératif. C’était mon principal admirateur ; j’étais sa fierté. C’était un homme courageux, responsable, franc et surtout digne et plein d’humour. Il m’a toujours rassuré que sa bénédiction m’accompagnera et m’a fait la confidence que l’école était aussi une clé de vie. J’ai foi ! Nous avions des projets en commun et j’avais un plan pour rendre ses vieux jours heureux. Mais le temps nous a joué un tour (à nous deux) et la mort en a décidé autrement. C’est ma peine. Mais lui et moi sommes croyants, et savions que certaines choses ne dépendaient pas de nous. Aussi, je lui ai fait la promesse de rester et faire sa fierté pour l’éternité de sa vie et de son nom. Qu’il repose en paix et me donne la force et la sagesse de poursuivre ses combats.
« La richesse se gagne, l’avenir s’invente, un destin se forge. Le mot d’ordre tous au travail »
SCI : Qu’est- ce qui fait alors l’actualité de M. Samson Dabiré ?
S.D : Je suis actuellement concentré pour terminer ma thèse de doctorat, à côté de mes tâches d’assistant d’enseignements et de recherches à l’Université de Genève. J’ai encore quelques projets d’études, mais la principale actualité, c’est de boucler ma thèse dans les meilleurs délais.
SCI : Un mot à l’endroit des jeunes burkinabè et particulièrement les étudiants et scolaires ?
S.D : A la jeunesse burkinabè, aux étudiants et scolaires je leur dis ces mots de l’ancien président béninois, feu Emile Derlin Zinsou (Président de juillet 1968 à décembre 1969 et qui est décédé en fin juillet de cette année) : « La richesse se gagne, l’avenir s’invente, un destin se forge. Le mot d’ordre tous au travail ». Alors, courage à nous tous, et que la volonté de bâtir un pays meilleur, qui compte en tant que nation, soit au moins une des choses qui nous tiennent toujours éveillés.
Propos recueilli par Yéro pour SCInfo