L’actualité nationale est marquée entre autres par le procès intenté par la commission d’enquête du CSM sur la corruption des magistrats contre le directeur de publication du journal Le Soir publiant désormais via un site web. Dans un communiqué de presse les plaignants informaient l’opinion qu’ils poursuivent le journaliste pour diffamation au motif qu’il aurait prétendu que la commission avait eu la volonté de faire disparaitre un dossier compromettant l’un de ses membres. Une citation directe a été signifiée au mis en cause qui devra répondre des faits qui lui sont reprochés devant le tribunal correctionnel le jeudi 13 juillet 2017.
Un communiqué de l’union de la presse indépendante du Faso (UNPIF) vient cependant soulever des interrogations qu’il conviendrait de prendre en considération : D’une part, sur l’impartialité du tribunal et l’équité du procès au regard du risque de corporatisme évident que donne à voir la configuration de la commission d’enquête créée par le Conseil supérieur de la magistrature sur son propre modèle de composition faisant d’elle une représentation de toute l’institution judiciaire.
D’autre part, la question de la procédure enclenchée contre le journaliste qui fait penser à de la persécution. En effet, selon la citation, c’est en vertu du code de procédure pénale que les poursuites sont faites à l’encontre du journaliste mis en cause. Cette procédure ne tient pas compte de la loi portant régime juridique de la presse au Burkina Faso qui est pourtant le seul texte de loi habilité en matière de répression des délits de presse. Comment se fait-il donc qu’un journaliste soit poursuivi dans le cadre de ses activités journalistiques par une loi qui peut le conduire en prison alors que la dépénalisation des délits de presse a été adoptée au Burkina Faso au profit des journalistes après de longues années de lutte des organisations professionnelles des médias ? L’emprisonnement des journalistes a été banni par notre pays à travers l’adoption par le Conseil National de la Transition d’une série de lois portant régime juridique des différents types de presse à savoir la presse en ligne, la presse écrite et la radiodiffusion sonore et télévisuelle.
Quant au statut du journaliste, l’ensemble de ces lois stipule que : « …… le journaliste professionnel est la personne : – ayant pour occupation principale, régulière et rétribuée, la recherche, la collecte, la sélection, l’adaptation, l’exploitation et la présentation des informations ; – exerçant cette activité dans un organe de presse écrite, parlée ou filmée, quotidien ou périodique, appartenant à une entreprise publique ou privée. » A la lumière de ces textes de loi, invoqués tout autre dispositif en l’occurrence les dispositions du code de procédure pénale pour poursuivre un journaliste dans le cadre de son travail est une grave dérive liberticide et prédatrice de la liberté de presse qui porte une entrave au droit a l’information des populations. Nul ne saurait remettre en cause cette avancée majeure en matière de liberté des médias, des droits de l’homme et de la démocratie qu’est la dépénalisation des délits de presse qui permet aux journalistes d’exercer librement leur métier sans être dans la peur de la détention. Dans le cas précis du directeur de publication du journal Le Soir, ceux qui estent contre lui se trouvent être tous des magistrats de hauts grades qui tentent de le dépouiller de toute protection de cette loi portant régime juridique de la presse dont il est pourtant bénéficiaire, on ne sait dans quel dessein. Alors que ce pourquoi il est poursuivi relève des délits de presse et non d’un délit de droit commun. Tenant compte de l’orientation judiciaire de cette affaire, du risque de corporatisme et de l’absence d’une garantie sérieuse sur l’impartialité du tribunal qui entendra l’accusé, le procès du journaliste Lookmann Sawadogo risque d’être arbitraire et abusif.
C’est pourquoi nous défenseurs des droits de l’homme :
– Dénonçons avec la dernière énergie la procédure judiciaire disproportionnée et biaisée qui est enclenchée contre le journaliste en total violation de son statut et des faits,
– Demandons à la commission d’enquête du CSM de respecter la législation en matière de presse,
– Exigeons des pouvoirs publics qu’ils mettent fin à cette forme d’insécurité judiciaire des journalistes en décidant fermement que ces derniers ne doivent plus être objet de poursuites dans le cadre de leur profession en dehors de la loi portant régime juridique de la presse au Burkina Faso,
– Invitons les acteurs des médias à dénoncer et combattre les tentatives de liquider leurs droits acquis en matière de liberté de la presse notamment la dépénalisation des délits de presse,
– Appelons la justice du Burkina Faso à garantir une justice équitable à tous les justiciables, seul gage du renforcement de l’Etat de droit démocratique, de la paix sociale, du respect et de la promotion des droits de l’Homme,
– Appelons les citoyens burkinabe à apporter un soutien sans faille aux journalistes victimes de diverses formes de menaces et d’intimidations dans leur mission d’information du public qui peut s’avérer, dans certains cas, périlleuse.
Les signataires de la présente déclaration informent, par ailleurs, l’opinion qu’ils suivent de près ce dossier et que le Rapporteur spécial sur le droit à l’information de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) ainsi que les instances onusiennes seront également saisis urgemment par eux.
Fait à Ouagadougou, le 12 juillet 2017 Ont signés :
Pour le Cercle d’Eveil Evariste Faustin Konsimbo (Président) Pour l’ODDH Adama Guébré (Secrétaire à la communication chargé de lobbying) Pour le RESOCIDE Siaka Coulibaly (Président) Pour l’Association ‘’Femmes Battante’’ Bertine Ouédraogo Pour la Covergence Citoyenne et Panafricaine Ousmane SO (Président) Pour le MBEJUS Alexandre Pagomziri Ouedraogo (Président) Pour les NDH (Nouveaux Droits de l’Homme) Idrissa BIRBA (Président)