Certaines plantes, telles les carottes, ont la capacité, lors d’un stress environnemental drastique, de convertir les cellules de leurs tissus en cellules immatures, indifférenciées, à partir desquelles croît une nouvelle plante complète, avec racines et pousses. Dans le règne animal, en revanche, hormis chez les amphibiens, une telle reprogrammation de cellules matures, différenciées, en réponse à un stress extérieur n’avait jamais été observée de façon claire… jusqu’à récemment.
Haruko Obokata, du Centre pour la biologie développementale du RIKEN, à Kobe au Japon, et ses collègues ont réussi à reprogrammer des cellules de souriceaux nouveau-nés en cellules souches pluripotentes – des cellules immatures capables de se différencier en nombreux types cellulaires –, par la seule action d’un stimulus extérieur, à savoir une augmentation de l’acidité du milieu de culture.
Depuis quelques années, on sait reprogrammer les cellules de la plupart des tissus mammifères en cellules pluripotentes dites induites, mais cette conversion nécessite une manipulation artificielle forçant l’expression de protéines (des facteurs inductifs). H. Obokata s’est demandé si, à l’instar de ce qui se produit chez les plantes, un stress extérieur ne suffirait pas à reprogrammer les cellules différenciées de mammifères. Pour le vérifier, cette biologiste et ses collègues ont fait subir divers stress (cisaillement, chaleur, privation de nutriments, choc osmotique, calcique ou acide, perforation de la membrane) à des cellules du système immunitaire de souris âgées d’une semaine, des lymphocytes connus pour n’exprimer aucun marqueur de la pluripotence. Plusieurs de ces stress, notamment le choc acide et les modifications physiques, ont fait apparaître dans quelques cellules (30 pour cent des 25 pour cent qui survivent au stress) un marqueur de la pluripotence, la protéine Oct4.
H. Obokata s’est concentrée sur le choc acide car, en 1947, une étude avait montré qu’un choc similaire chez la salamandre entraîne la conversion spontanée de cellules matures en cellules souches neurales (dont le potentiel de différenciation se restreint aux types cellulaires neuraux, tels que les neurones).
Les cellules obtenues par H. Obokata et ses collègues, dénommées STAP pourStimulus-Triggered Acquisition of Pluripotency (acquisition de pluripotence par stimulus), ont des propriétés étonnantes : injectées dans un embryon de souris, lui-même implanté ensuite dans l’utérus d’une souris, elles se comportent comme des cellules souches pluripotentes, participant à la production de tous les types cellulaires dans l’embryon en développement. Mieux, leur potentiel de différenciation dépasse celui des cellules pluripotentes induites, car, contrairement à ces dernières, elles participent aussi au développement du placenta. S’agirait-il de cellules totipotentes, capables de se différencier en tous types cellulaires ? Pour le savoir, il faudrait pouvoir les suivre individuellement, ce qui est difficile car elles poussent en groupe et meurent lorsqu’elles sont séparées.
Les STAP diffèrent aussi des lignées de cellules souches pluripotentes embryonnaires classiques par le fait qu’elles ne prolifèrent pas sous forme de lignées immortelles. Mais elles expriment une très grande plasticité, et on peut modifier leur prolifération comme leur potentiel en changeant les ingrédients du milieu de culture. Comment interpréter ces données et à quoi correspondent ces nouvelles cellules ? Ont-elles un équivalent physiologique ? Il faudra beaucoup plus de travaux pour répondre à ces questions. Une hypothèse est que cette reprogrammation induite par un stress soit une réponse de survie de la cellule, qui lui donnerait un moyen de réparer un tissu lésé.
Les biologistes japonais essayent à présent de reproduire ces résultats à partir de cellules de souris adultes et d’humains – un prérequis pour imaginer d’autres applications.