Les diplômes qui donnent du travail
« Bon, alors, dis moi… tu as une idée de ce que tu feras l’année prochaine ? » D’ici au 20 mars 2012, pour quelque 700.000 familles dont l’ado est en classe de terminale, ce sera LA question. Quels vœux d’inscriptions formuler sur le portail national admission-postbac.fr?
Epineuse, angoissante, elle risque d’épicer désagréablement les menus du réveillon, entre dinde et dessert, avec quelques jolies crises de nerfs familiales. Virant au dialogue de sourds. Avec, d’un côté des lycéens pressés de rien, si ce n’est de laisser du temps au temps : « L’orientation, les ados préfèrent ne pas y penser… Ils attendent la dernière minute pour prendre leurs décisions », explique Michèle Dain, directrice du centre d’orientation de la chambre de commerce de Paris.
Et face à eux, des parents plus impatients, bardés de certitudes – « Tu dois absolument réussir Sciences-Po, comme moi ! » – ou angoissés à l’idée de ne pas avoir le bon tuyau pour placer leurs enfants dans les meilleures filières. « Notre système opaque, complexe fait que tout le monde a toujours peur de se faire avoir », explique une sociologue de l’éducation. Voici nos cinq commandements pour mener au mieux ce choix délicat.
1. En tes études, tu croiras
Si les perspectives économiques s’annoncent sombres, les nombreux diplômés que nous avons interrogés ont pourtant très bien tiré leur épingle du jeu et décroché un job en rapport avec leurs aspirations. Parce que le marché de l’emploi des cadres, même débutants, possède ses propres règles, déconnectées des signaux les plus voyants de l’économie : « Nous avons étudié sur une période longue les liens entre croissance et chômage des cadres : il n’y en a pas ! », explique Jacky Châtelain, ex- secrétaire général de l’Apec (Agence pour l’Emploi des Cadres).
En fait, ce qui influe sur le recrutement des plus qualifiés, c’est l’investissement des entreprises – « Les deux courbes sont totalement symétriques » – plus que les plans sociaux qui défraient la chronique et autres nouvelles alarmantes sur le front de l’emploi. Certes, les débutants échappent moins à l’orage, mais les intempéries sont, pour eux, de courte durée. Elles n’ont guère frappé les jeunes diplômés millésimes 2010 ou 2011, entrés sur le marché du travail dans de bonnes conditions. Car le niveau de qualification s’élève sans cesse, en France et partout dans le monde. Ainsi, au cours des vingt dernières années, la part des diplômés dans la population active des pays de l’OCDE a doublé. Et le diplôme reste le meilleur moyen d’échapper au chômage et d’obtenir les meilleurs emplois.
2. Ta stratégie, tu peaufineras
Seulement, il y a débutant… et débutant. Certains, chassés par les employeurs, parfois avec un modeste bac+2 ou bac+3, ont pu imposer leurs conditions et un joli salaire, comme Emilie Morata, à peine sortie de sa licence professionnelle Paie à l’IAE de Lyon, déjà embauchée par une entreprise et débauchée par une autre, ou Paul, 22 ans, infirmier dans un service d’urgence, recruté avant même la fin de sa formation.
D’autres, dotés de plus longs parchemins, restent sur le bord de la route. Question de stratégie… et de filière. A ce moment de l’année, l’immense majorité des lycéens n’ont pas de projet clair pour leurs études. Comme Simon, en terminale scientifique à Paris : « Je m’intéresse à la psychologie, peut-être à la psychiatrie… Je ne sais pas trop. Sciences-Po aussi pourrait me plaire… »
Alors que répondre à ceux qui, comme Pauline en littéraire, s’avouent défaitistes, presque vaincus d’avance : « De toute façon, c’est bouché partout… » « Ce n’est pas un choix sans retour, une orientation pour une vie, rappelle Michèle Dain. On peut, tout au long de ses études, colorer son cursus de telle ou telle façon ou l’infléchir. » Et puis, s’il importe de se renseigner sur les débouchés et la réalité du marché du travail, il ne faut jamais oublier qu' »il n’y a pas que les statistiques. Un jeune passionné par un domaine, un métier, même très difficile d’accès, peut réussir », comme le rappelle Dominique Lion-Deslandes, conseillère à Médiacom , le centre d’orientation du rectorat de Paris (gratuit et anonyme sans rendez-vous, 01-44-10-73-30).
3. Les infos, tu vérifieras
Les craintes de certains parents, il faut l’avouer, ne sont pas entièrement injustifiées. « Si nous avions su ! » raconte, très amère, Florence, dont la fille a été recalée deux fois en médecine. « Personne ne nous a expliqué que le concours n’est pas national, comme cela semblerait logique, mais organisé par chaque université avec des épreuves et des barèmes différents : on peut être reçu à Amiens avec 10 de moyenne, mais pas à Paris. »
S’il est un domaine où l’info reste trop souvent l’apanage d’une poignée d’initiés, c’est bien celui de l’orientation. Aussi, une fois déterminées la ou les voies visées, il faut mener l’enquête. S’informer et vérifier. Gare aux belles paroles de celles et ceux qui « vendent » leur formation, leur métier sur les salons ou sur le Net. Mieux vaut interroger directement des professionnels sur les compétences, les cursus recherchés dans le domaine qui vous séduit. Et tout au long de ses études, il faut se tenir au courant. La météo des métiers n’est pas immuable. Elle connaît même parfois des renversements inattendus. Ainsi, les concours du professorat, longtemps pris d’assaut, sont aujourd’hui en manque de vocations, y compris dans les disciplines « littéraires ».
4. Tes clichés, tu oublieras…
Le monde du travail n’est pas celui de l’école. Il n’y a pas que l’excellence scolaire ! Les compétences, les qualités attendues par les employeurs ne sont pas celles-là. L’aisance à s’exprimer, le sens du contact peuvent se révéler plus importants que la maîtrise des équations… Et sur le marché du travail, il n’y a pas de panacée, de hiérarchie toute faite.
On s’arrache certains CAP, dans les métiers de bouche notamment, avec des salaires tout à fait honorables. Certains bac+2 ou +3 accèdent vite et bien à des carrières intéressantes dans le webmarketing, le BTP ou l’image numérique. « Le domaine de formation importe autant sinon plus que le niveau de diplôme sur la qualité des emplois obtenus », rappelle Daniel Martinelli, chercheur à l’Insee. Ainsi, à bac+5, selon la discipline ou la spécialité, le taux de chômage varie du simple au double et les salaires aussi ! L’Université fait parfois mieux que les grandes écoles : avec un master Miage (informatiques appliquées à la gestion) ou DJCE (diplôme juriste conseil d’entreprise), on décroche souvent de meilleurs postes qu’au sortir d’une Sup de Co un peu moyenne.
5. Tes envies, tu testeras
Comment choisir alors ? Il faut bien sûr d’abord partir de ses envies. « On ne fait bien que ce qu’on aime, c’est même essentiel pour réussir », rappelle Michèle Dain. Mais il faut aussi mettre de côté ses préjugés. Une poignée de métiers fascinent lycéens et étudiants : chercheur, journaliste ou graphiste. Mais les plus passionnants ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Beaucoup ont découvert leur voie à l’occasion d’un stage, d’un job, au contact du réel. Comme Thibaut Lockhart, diplômé de Polytechnique, conducteur de travaux dans la construction : « Savoir que les gens passent sur les ponts ou vont dans les stades que vous avez construit, quelle gratification ! »
Et puis le même métier, exercé dans une industrie, un journal, une start-up, ou une PME du luxe change du tout au tout. Enfin, les possibilités de passerelles se sont multipliées depuis quelques années. Il faut naviguer avec astuce pour rentabiliser au mieux ses neurones sur le marché de l’emploi et slalomer d’un cursus à l’autre. « Confronter le réel, le possible à ses rêves et adapter son projet au fur et à mesure », explique Dominique Lion-Deslandes. Bref, tracer sa voie.
Le nouvel observateur