L’annonce par la Nasa, tel un tsunami, a fait le tour du monde en quelques minutes, et son onde de choc a fait frémir la Galaxie entière… L’équipe internationale de Elisa Quintana, utilisant le satellite américain Kepler, a découvert, dans la constellation du Cygne, une « planète habitable », désormais célèbre sous le nom de Kepler 186 f. Mieux, Kepler 186 f serait une « sœur jumelle de la Terre » ! Parmi la multitude d’informations délivrées par les communiqués de presse évoquant la grande nouvelle, relevons « la possible existence d’eau liquide sur Kepler 186 f – à condition toutefois qu’il y ait de l’eau sur cette planète » : les astronomes ne manquent pas d’humour, fut-il involontaire. L’eau liquide, donc la vie : dans les médias, la planète Kepler 186 f est passée vite du statut de planète habitable à celui de planète habitée : « On imagine quelle couleur les plantes pourraient avoir à cause de la photosynthèse. Elles seraient probablement plus jaunes, à cause de la couleur différente de l’étoile », a ainsi expliqué Thomas Barclay. Un journaliste ? Non, pire, un des astronomes qui a participé à la découverte…
Bien : de l’eau, de la vie, des exoplantes, sur cette planète. Mais, n’est ce pas aller un tout petit peu vite en besogne ? Concrètement, à quoi ressemble-t-elle, cette planète Kepler 186 f ? A rien, elle ne ressemble à rien, car nous ne savons rien, ou presque, d’elle. Elle a été découverte par le satellite Kepler, qui a mesuré, des années durant, la luminosité d’une centaine de milliers d’étoiles de la constellation du Cygne. Objectif ? Repérer parmi cette myriade d’étoiles celles présentant des baisses de luminosité cycliques. En clair, des éclipses de leur étoile par des planètes, que les astronomes appellent des transits. Après trois éclipses – séparées par une période strictement similaire, et d’une durée semblable – la messe était dite, Kepler avait détecté le passage régulier d’une planète devant son étoile. Cette technique des transits, remarquablement efficace, est soutenue, avec de grands télescopes au sol, qui permettent d’établir le type, la masse, le diamètre et la distance de l’étoile, et tentent de confirmer l’existence de la planète par une technique différente, celle des perturbations gravitationnelles. Une fois toutes ces vérifications réalisées – il existe de nombreux exemples d’exoplanètes annoncées qui se sont ensuite discrètement évaporées dans les limbes de l’histoire des sciences – il suffit de calculer le diamètre de la planète par rapport à celui de son étoile. C’est la baisse de luminosité de l’étoile qui donne presque directement cette mesure du diamètre.
… en réalité, la planète Kepler 186 f, c’est cela : un nuage de points dessinant une courbe de lumière. Sur ces courbes de transit obtenues par le satellite Kepler, les cinq planètes, Kepler 186 b, c, d, e, f, apparaissent du haut en bas. Illustration Science.
Revenons à notre « planète habitable ». Kepler 186 f fait partie d’un système de cinq planètes, Kepler 186 b, c, d, e, f, qui tournent autour d’une étoile de la constellation du Cygne. Laquelle, Kepler 186, donc, ne ressemble pas au Soleil : il s’agit d’une étoile naine rouge, environ deux fois plus petite, deux fois moins massive et dix fois moins lumineuse que notre étoile. La planète Kepler 186 f, quant à elle, sensée, donc, être une « sœur jumelle » de la Terre, est à peine plus grande que celle-ci, elle doit mesurer environ 15 000 kilomètres de diamètre. De la périodicité de ses transits, la période de révolution de la planète autour de son étoile est connue : 130 jours, soit un peu plus de quatre mois. Les lois dites de Kepler, l’astronome de la Renaissance contemporain de Caravage, qui a donné son nom au télescope spatial de la Nasa, permettent de calculer la distance de la planète à l’étoile : 53 millions de kilomètres, soit le tiers de la distance de la Terre au Soleil. Or, comme l’étoile Kepler 186 est plus froide que le Soleil – sa température de surface avoisine 3500 °C, contre 5500 °C pour le Soleil – et prodigue beaucoup moins de chaleur et de lumière, Kepler 186 f est sensée se trouver dans la « zone habitable » de son étoile. La zone habitable, comme chacun sait, est une invention anthropocentrique des astronomes, qui, observant que le seul exemple de vie connue dans l’Univers se trouve sur une planète où coule de l’eau, se disent que toutes les planètes où coulent de l’eau peuvent être habitées. Ils cherchent, donc, d’autres « Terre » et, avec Kepler 186 f, alléluia, l’ont (presque…) trouvée !
Sauf que. Glissons sur le fait que les caractéristiques de la Terre ne se limitent pas à son diamètre, c’est une planète dotée d’un énorme satellite, la Lune, d’une tectonique des plaques, d’un champ magnétique puissant, d’énormes quantités d’eau en surface, d’une atmosphère, etc… Personne ne sait laquelle, lesquelles, de ces caractéristiques, a permis à la vie d’émerger sur Terre, personne ne sait si l’apparition de la vie est un phénomène automatique, rare, rarissime, personne ne sait si, si la vie existe ailleurs, elle est apparue sur des planètes ressemblant à la Terre, ou, par exemple, à Europe ou Encelade, ces banquises célestes situées hors de la « zone habitable ».
Plus amusant, personne ne sait, évidemment, si Kepler 186 f est dotée d’une atmosphère, quelle température règne à sa surface et si de l’eau y coule. Il n’est même pas sûr que sa rotation ne soit pas verrouillée sur sa révolution, ce qui amènerait notre planète habitable à présenter une face éternellement tournée vers son soleil rouge, l’autre perpétuellement tournée vers la nuit. Drôle de « sœur de la Terre » non ? De l’eau ? Peut-être. Autant que sur Vénus ou sur Mars peut-être ? Ne plaisantons pas… En fait, certains chercheurs travaillant sur les disques protoplanétaires qui se forment autour des naines rouges affirment qu’ils sont déficitaires en eau. D’autres contestent ces conclusions. Bref, on ne sait pas, on ne sait rien des conditions physiques régnant à la surface de Kepler 186 f, ce qui est sûr, en revanche, c’est que le raz de marée publicitaire de la Nasa à propos de cette planète « habitable » peut prêter à sourire, voire irriter, à la longue, Kepler 186 f n’étant ni la première, ni la dernière planète « habitable » dont on ne saura probablement rien de plus avant quelques décennies ou quelques siècles.
Car, avant d’aller barboter parmi les exopoissons et les exoalgues, dans les exoocéans de Kepler 186 f, demandons nous comment nous pourrions en savoir plus sur l’habitable planète… Sa masse et sa densité, par exemple, qui donneraient une indication sur sa nature : planète gazeuse, liquide, rocheuse ? Nous les connaîtrons sans doute dans les dix ans qui viennent. Car les astronomes vont continuer à étudier les révolutions des cinq planètes de Kepler 186, ce qui permettra de détecter les perturbations gravitationnelles des planètes entre elles, et, partant, d’évaluer leurs masses. La présence d’une atmosphère autour de la planète ? Ce sera beaucoup plus difficile, quoique pas impossible, si les transits peuvent être observés avec une nouvelle génération de télescopes spatiaux, plus puissants que Kepler. La courbe de luminosité des transits pourrait permettre de déterminer l’existence et l’épaisseur d’une éventuelle atmosphère. C’est pour dans dix ou vingt ans. Et c’est tout.
Pour aller plus loin, il faudrait pouvoir analyser la lumière émise par la planète, c’est mission impossible, pour longtemps, comme nous allons le voir. Reprenons : Kepler 186 f se situe à 53 millions de kilomètres d’une étoile elle-même distante de 500 années-lumière. Essayons déjà de prendre une simple photographie de la planète, où elle apparaîtrait comme un point à côté de son étoile. D’abord, il faut que l’image soit assez nette pour que la planète soit séparée de son étoile. En termes d’optique astronomique, la planète se trouve à 0,002 seconde d’arc de l’étoile, c’est l’angle qui les sépare. Pour séparer les deux astres, une optique de 200 mètres environ est nécessaire. Reste encore à détecter la planète ! Or, à 500 années-lumière de distance, une planète de la taille de la Terre est invraisemblablement pâle. Les astronomes disent que sa magnitude avoisine 35… Observer un astre de magnitude 35 à 0,002 seconde d’arc de son étoile, aujourd’hui, relève de la science-fiction. Aucun projet de télescope futur, que ce soit l’un des télescopes géants de 20 à 40 mètres de diamètre que les astronomes projettent de mettre en service au cours des années 2020, ou un télescope spatial, comme le JWST, qui entrera en service au tournant des années 2020, ne sera capable d’un tel exploit.
Il faudra, pour observer et étudier les caractéristiques de la planète Kepler 186 f, attendre, si de tels projets continuent alors à être financés, un engin de plusieurs centaines de mètres de diamètre. Ce sera, d’ailleurs, la seule finalité d’un tel hyper télescope : étudier en détail les exoplanètes. Car pour un astronome ou un planétologue, nul besoin pour une exoplanète d’être « habitable » ou pas : ces astres, tels Jupiter et ses satellites de glace, Saturne et ses anneaux, Vénus et sa fournaise, Mars et ses déserts, sont passionnants en soi… Sauf qu’une planète « glamour » comme Mars et ses Martiens dont on rêve et que l’on recherche en vain depuis quatre siècles, est l’objet de plus d’attention, et de financements, qu’une planète morte, comme Mercure. Rappelons-nous que la Nasa a cessé brusquement ses missions martiennes après les sondes Viking, qui avaient prouvées à la fin des années 1970 qu’il n’y avait pas – immense déception à une époque où les extraterrestres étaient à la mode – de vie sur Mars. Dès l’instant où ces conclusions ont été remises en cause par les chercheurs, les dollars, et les missions ont afflué de nouveau vers les Martiens, que l’on ne recherche plus désormais à la surface mais sous la terre, là où on ne peut pas les atteindre.
Les décennies qui viennent pour l’exoplanétologie, de ce point de vue, seront décisives. Au delà des effets d’annonce, de ces planètes « habitables » qui seront régulièrement découvertes, mais qui finiront forcément par décevoir ou lasser – car l’on peut parier ici que l’on ne trouvera pas de planètes habitées, si il en existe dans notre coin de Galaxie, dans les décennies qui viennent, la technique ne le permettra pas – il faudra convaincre les décideurs scientifiques et politiques de continuer à financer l’une des plus belles disciplines de l’astronomie, l’exploration de mille milliards de mondes.