Tout bouge. Je me réveille. Cerro Armazones ? Le vent qui fait bouger la cabane où j’ai passé la nuit dernière ? Non. Je suis à Cerro Paranal, dans un vrai lit, mais tout bouge… Il est six heures du matin, un tremblement de terre secoue la Residencia, où vivent astronomes, ingénieurs et techniciens de l’observatoire… La secousse dure une quinzaine de secondes, magnitude 3 ou 4, on n’en parlera même pas le lendemain. Les séismes, au Chili, sont quotidiens, ou presque. A chacun de mes séjours ici, j’en expérimente un. Parfois, dans un restaurant, c’est les lustres qui oscillent, tout le monde regarde en l’air, au cas où… Parfois, c’est le sourd grondement de la Terre qui réveille en pleine nuit. Si l’on n’est pas habitué, on croit avoir rêvé.
Côté est, l’entrée de la Residencia.
Côté ouest, les chambres de la Residencia
Le Cerro Paranal et le Cerro Armazonessont situés de part et d’autre de la faille d’Atacama, on s’en doute, géologues et architectes ont pensé « parasismique ». Une spécialité du pays, d’ailleurs. Lorsque quelque part dans le monde, un séisme de magnitude 6 ou 7 emporte des milliers, des dizaines de milliers de vie, ici, les dégâts sont mineurs, ou presque. Le 30 juillet 1995, à une heure du matin, la plaque sud-américaine a brusquement cédé sous les assauts de celle de Nazca, qui a avancé d’un bon mètre. Magnitude 8, aucune victime. A Cerro Paranal, on a du recollimater les télescopes, qui avaient un peu bougé, forcément. Le séisme de 1995 a relaxé les contraintes sur la faille d’Atacama, en principe, la région d’Antofagasta est tranquille pour des décennies. Plus au nord, entre Iquique et Arica, c’est une autre affaire. La contrainte mécanique – les deux plaques avancent l’une vers l’autre à raison de 9 centimètres par an – est gigantesque. Il n’y a pas eu là-bas de grand séisme depuis le 9 mai 1877… A l’époque, l’Atacama était essentiellement vide, heureusement, il n’y a eu que quelques milliers de victimes. Le séisme, de magnitude 9, avait levé une vague géante, qui était venue mourir en plein désert, où elle avait déposé deux croiseurs, le Wateree et l’America, avant de se retirer. Le prochain grand séisme, au Chili, aura lieu dans le nord.
Semie-enterrée, la Residencia mesure une centaine de mètres de long.
Le restaurant de la Residencia, on y croise équipes du jour et de la nuit.
Une chambre de la Residencia.
La Residencia. Un geste architectural magistral, dû aux architectes allemands Fritz Auer et Carlo Weber. Le bâtiment en béton coloré à l’oxyde de fer épouse la pente d’une colline du désert, à 3 kilomètres du Very Large Telescope. Semi-enterré, on ne le voit pas en arrivant à Cerro Paranal. Une pente inclinée mène à la porte d’entrée souterraine, un sas, plutôt. Passé ce sas, c’est la surprise, un air chaud et humide vous surprend, devant vous, une serre, c’est l’atrium immense de ce véritable hôtel du désert. Une piscine, aussi ? Oui et non. Elle n’est quasiment pas utilisée, les gens ici sont d’astreinte 24 heures sur 24. La piscine fait office d’humidificateur de la Residencia, dans le désert, la sécheresse dégrade très vite lèvres et mains. La Residencia est une ruche silencieuse, qui vit 24 heures sur 24. Les équipes de jour y dorment la nuit, les équipes de nuit y dorment le jour. D’où une ambiance feutrée, monacale. Le soir, au coucher du Soleil, le cérémonial est immuable : le personnel hôtelier ferme toutes les cloisons qui donnent sur le versant ouest de Cerro Paranal, dans les chambres, tous les rideaux sont fermés. Dehors, c’est pareil : le petit village qui s’est créé à Paranal – ateliers, magasins, centrale électrique, polyclinique, gymnase, baraquements, etc, est totalement obscur. Les voitures qui vont et viennent entre l’observatoire et son camp de base roulent en feu de position, on peut observer un ciel parfait, sans la moindre pollution lumineuse, sur le parking de la Residencia. Pour éviter les accidents, la route est ponctuée de catadioptres, lorsque l’on monte à l’observatoire, l’impression est grisante : on emprunte la route des étoiles.
Un moment de détente, face au désert.