LES ASTRONOMES ONT-ILS DÉCOUVERT LA PREMIÈRE LUNE EXTRASOLAIRE ?

Si elle était validée, cette découverte passée inaperçue serait l’une des plus belles de l’année 2013 écoulée. Malheureusement, la nature est indifférente aux desiderata des savants, et cette fascinante observation risque fort… de n’être jamais confirmée.
Voici plusieurs années que le bruit court, puis s’estompe, puis son écho grossit de nouveau,dans les couloirs des observatoires et des instituts de recherche astronomique : « on » aurait découvert la première exolune. Exolune ? Oui : le satellite d’une exoplanète. Ce serait une formidable première. A ce jour, environ mille exoplanètes ont été trouvées dans la Galaxie, et autour d’elles, aucune lune. C’est normal, puisque les satellites des planètes, beaucoup plus petits et légers que les corps autour desquels ils tournent, sont extrêmement difficiles à détecter, avec les moyens d’observation – essentiellement indirects – actuels.
Alors les spécialistes spéculaient : a priori, le seul instrument capable de détecter le satellite d’une exoplanète, se devait être Kepler, le télescope spatial américain, qui a découvert des centaines d’exoplanètes en observant leurs transits devant leurs étoiles, transits provoquant de mini éclipses. A chaque transit de l’exoplanète, une éclipse secondaire, due à sa lune, aurait été détectée, décalée légèrement à chaque tour du fait de sa rotation autour de la planète. Imparable. Étrangement, à ce jour, ni Kepler, ni Corot, le télescope spatial franco-européen, ni les télescopes terrestres qui observent des transits, n’ont réussi à dénicher dans l’espace une exolune…
Non, la découverte – si il y a découverte – vient d’où on ne l’attendait pas, d’un réseau de surveillance terrestre, appelé MOA (Microlensing Observations in Astrophysics). Cette équipe internationale surveille, pratiquement 24 h/24, le bulbe galactique et ses milliards d’étoiles dans le but de détecter non pas des transits d’exoplanètes, donc l’affaiblissement cyclique d’étoiles, mais au contraire l’accroissement brutal de luminosité d’étoiles, provoqué par le passage devant elle d’exoplanètes.
Paradoxe, alors que les transits provoquent évidemment une baisse d’éclat des étoiles ? C’est que la technique d’observation du groupe MOA est basée sur un principe profondément différent de celui des transits, celui de l’optique gravitationnelle. On sait depuis la publication de la théorie de la relativité générale par Albert Einstein, voici bientôt un siècle, que l’espace se courbe en présence de masse. Cette déformation de l’espace – vérifiée en 1919 lors d’une éclipse totale de Soleil – contraint les rayons lumineux à suivre un chemin particulier autour des corps célestes – étoiles, galaxies, trous noirs, pour les cas concrets – qui agissent alors comme « lentilles gravitationnelles », capables, comme les lentilles optiques traditionnelles, d’amplifier la lumière des étoiles… Les astronomes utilisent cette étrange propriété de l’espace pour chercher des galaxies derrière les amas de galaxies et des planètes autour des étoiles lointaines.
Pour cela, il faut une configuration géométrique très particulière et extraordinairement précise : l’exoplanète, tournant autour d’une étoile dite « lentille », doit passer exactement devant une étoile très distante, dite « source ». Durant cet alignement, qui n’arrive qu’une seule fois, et qui est du au déplacement des étoiles autour du centre galactique, l’étoile source voit son éclat augmenter progressivement durant le passage devant elle de la lentille, puis diminuer de façon symétrique. Puis, si une planète se trouve à côté de l’étoile lentille, l’amplification reprend, et diminue de nouveau… L’optique gravitationnelle, fille de la relativité générale, étant précisément codifiée, il est possible aux chercheurs, à partir de l’amplification de lumière et de sa durée, et des caractéristiques de l’étoile source, de définir assez précisément la carte d’identité de la planète « lentille »…
Voilà pour le principe. C’est ainsi que le 26 juin 2011, l’un des télescopes de MOA, situé à l’observatoire du mont John, en Nouvelle-Zélande, a détecté le début d’une amplification de lumière d’un astre, baptisé MOA-2011-BLG-262, aux confins des constellations du Sagittaire et duScorpion, non loin du Centre galactique. Aussitôt, l’événement – qui a duré près d’une centaine d’heures – a été suivi par les télescopes d’autres équipes (PLANET, MicroFun), depuis l’observatoire Canopus, en Tasmanie et l’observatoire de Siding Spring, en Australie. Mais quand une deuxième amplification a commencé à être détectée, le branle bas général a été décrété et la grosse artillerie astronomique mise à contribution : les observatoires de Cerro Tololo et Las Campanas, au Chili et l’observatoire Faulkes en Afrique du Sud. Enfin, plus tard, depuis le sommet du volcan Mauna Kea, à Hawaii, l’un des plus puissants télescopes du monde, le Keck Telescope, s’est joint aux observations…
L’analyse des données enregistrées par cette collaboration internationale, puis les observations de l’étoile source, MOA-2011-BLG-262, a pris près de deux ans, à l’issue desquels l’équipe de D.P Bennett, V. Batista, I.A Bond, C.S. Bennett, D. Suzuki, J.P. Beaulieu, A. Udalski, J. Donatowics – et plusieurs dizaines de leurs collaborateurs ! – a finalement publié sur ArXiv sa conclusion : l’événement MOA-2011-BLG-262 est peut-être du au passage devant l’étoile source d’une planète et de sa lune…
Une première « exolune », donc, aux caractéristiques très étranges, complètement inattendues. D’abord, ce satellite serait énorme, de la taille de la planète Mars, disons, et tournerait autour d’une planète géante, un peu plus grosse et trois fois plus massive que Jupiter. Un couple d’astres géants, donc, dont il n’existe pas d’exemple dans notre système solaire. Mais il y a plus : cette planète et sa lune ne tourneraient autour d’aucune étoile ! Elles flotteraient librement, dans le noir de l’espace, à 2000 années-lumière d’ici… On sait que des planètes sans étoile existent dans la Voie lactée, de tels astres ont pu être éjectés de leur système planétaire par un jeu de billard cosmique entre planètes ou entre étoiles et planètes. L’ennui, pour David Bennett et ses nombreux collègues, c’est que cette découverte n’est pas certifiée, car il existe, avec les données enregistrées, une autre possibilité d’explication à l’événement MOA-2011-BLG-262. Pire encore, elle ne sera peut-être jamais confirmée…
Les astronomes, en effet, ont calculé une seconde solution optique pour l’amplification de la source MOA-2011-BLG-262 par sa lentille. Il pourrait s’agir, non plus d’une planète et sa lune, mais d’une étoile dix fois plus petite que le Soleil, et de sa planète, à peu près grosse comme Neptune. Dans ce cas, le couple serait situé à 22 000 années-lumière environ.
Comment pourrait-on résoudre cette équation à deux inconnues ? C’est impossible aujourd’hui, la lentille et sa source sont, pour les télescopes actuels, presque confondues. Si il s’agit bien d’une planète et sa Lune, elles demeureront probablement à jamais invisibles, obscures sur le fond noir de l’espace. Si il s’agit d’une planète et de son étoile, cette dernière sera peut-être un jour détectée par un puissant télescope.
La possible première découverte d’une lune extrasolaire est à la fois fascinante et frustrante. Mais, même si elle demeure éternellement en suspend, elle montre que les astronomes sont désormais capables de trouver dans le cosmos des planètes et leurs satellites. On peut s’attendre à ce que, cette année peut-être, l’équipe de Kepler annonce à son tour la possible découverte d’une exolune.
Une Lune extrasolaire, un monde lointain, tournant dans l’orbe d’un monde lointain… Comment toucher plus l’imaginaire humain, bercé depuis la nuit des temps par l’étrange luminaire blafard qui traverse le ciel de la Terre en un cycle éternellement recommencé ? Et qu’écrirait aujourd’hui, à l’annonce qu’il existe dans le ciel d’autres lunes, aux paysages éclairés par d’autres soleils, ou par les myriades d’étoiles de la Galaxie, l’auteur de ces vers ?

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth ; 
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ; 
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre 
Brillait à l’occident, et Ruth se demandait, 
Immobile, ouvrant l’œil à moitié sous ses voiles, 
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été, 
Avait, en s’en allant, négligemment jeté 
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.

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