Les légèretés de Gravity

Les légèretés de Gravity

Quel film ! Quelle merveille visuelle nous immergeant dans l’Espace avec des images rarement vues auparavant. A voir absolument, en 3D, pour enfin se croire astronaute le temps d’une orbite avec les dangers associés…

Bon, les puristes souligneront à juste titre grand nombre d’inexactitudes et d’incohérences, mais après tout ce n’est qu’un film, pas un documentaire sur l’Espace. Si le télescope Hubble, la station internationale ISS et la future station chinoise Tiangong n’avaient pas été dans le même plan orbital, par exemple, il n’y aurait pas eu de film, et cela aurait été fort dommage !

Tout n’est pas rose dans le film pour la pauvre Sandra, mais il est amusant de se dire que cela aurait pu être bien pire ! Après tout, sa capsule tombe dans un lac comme cela est effectivement arrivé lors de la mission Soyouz 23 en 1976, elle manque de se noyer tout comme Gus Grissom lors de Mercury 4, part en spin incontrôlé comme Neil Armstrong et Dave Scott en 1966, subit un début d’incendie comme dans Mir en 1997, subit une collision comme Michael Foale dans Mir en 1997, subissant au passage une fuite majeure dépressurisant totalement un des modules, et elle fait une rentrée balistique comme cela est arrivé plusieurs fois depuis Soyouz-5 en 1969 ; elle aurait également pu être aveugle pendant plusieurs secondes comme Wally Schirra sur Apollo 7, subir l’explosion à bord d’Apollo 13, être asphyxiée par des gaz toxiques comme Apollo-Soyouz en 1975, manquer de se noyer dans son scaphandre comme Luca Parmitano tout récemment, devoir combattre des loups après l’atterrissage ou pêcher dans le lac pour se nourrir (les premiers Soyouz étaient équipés d’un fusil pour se défendre et d’une canne à pêche), mais là, on aurait certainement crié à l’exagération :o)

La thématique des débris, fondamentale dans le film, mérite toutefois un peu d’éclaircissement car de nombreux commentateurs se sont servis de Gravity comme exemple du syndrome de Kessler, théorie identifiant le risque de saturation de certaines zones orbitales par régénération de débris via des collisions mutuelles, rendant ces orbites inutilisables à long terme.

L’élément déclencheur du film est la destruction d’un satellite sur une orbite proche de celle de l’ISS. Une telle destruction volontaire est malheureusement un acte assez fréquent puisqu’on en recensait quelques 54 à mi-2013, les deux derniers en date étant le satellite chinois Feng-Yun 1C et le satellite américain AUS-193, tous deux détruits par des missiles anti-satellites. De telles destructions peuvent être génératrices d’un nuage de débris important, présentant un danger certain pour la population orbitale du voisinage ; ainsi, la destruction de Feng-Yun 1C en 2007 a laissé plus de 2000 gros débris sur des orbites fortement inclinées, centrées vers 800 km d’altitude.

Pour avoir un impact entre deux corps, il faut qu’il y ait une vitesse relative entre eux. Si deux objets orbitaux sont au même endroit au même moment avec une vitesse différente, c’est qu’ils ne sont pas sur la même orbite. De fait, pour simplifier, soit ils sont dans le même plan orbital avec deux orbites sécantes, soit ils sont sur deux plans orbitaux différents. Dans les deux cas, il est possible d’avoir une collision majeure avec un nuage de débris à la première intersection, comme dans Gravity, mais il est extrêmement improbable d’en avoir une seconde une orbite plus tard.

Une fragmentation massive (une explosion) de satellite se traduit par une dispersion d’un grand nombre de débris à des vitesses très différentes, certains étant accélérés ou décélérés de plusieurs centaines de mètres par seconde ; nous avons une bonne connaissance de ces phénomènes de fragmentation, chacune des 216 observées à ce jour ayant donné lieu à une analyse « post-mortem » montrant la distribution des orbites des débris générés.

On note deux phénomènes :

–       Un incrément significatif de vitesse lié à l’explosion se traduit par une forte modification de l’orbite d’un objet. Par exemple, si un débris gagne 100 m/s lors d’une fragmentation depuis l’orbite de l’ISS (alors qu’une explosion peut induire plusieurs milliers de m/s), son apogée augmentera de 360 km et sa période orbitale de de près de 4 minutes ; bref, une orbite après l’explosion, le nuage de débris ratera l’ISS d’au moins 4 minutes,

–       Les débris générés par une fragmentation ont des formes et des masses très variées, mais ont en général des « coefficients balistiques » plus grands que ceux d’un satellite intègre ou de l’ISS. Le coefficient balistique est le rapport entre la surface d’un objet et sa masse, en tenant compte du coefficient de traînée atmosphérique. Un satellite classique ou l’ISS a un coefficient balistique de l’ordre de 0,01 (par exemple l’ISS fait 400 t pour un « maître couple » (surface perpendiculaire à la vitesse) de 100 m x 20 m soit 2000 m² avec un coefficient de traînée de 2,2. Un débris en revanche est souvent de l’ordre de 0,1 comme une tôle en aluminium de 2 ou 3 mm d’épaisseur par exemple.

Or la traînée atmosphérique est, par définition, directement fonction du coefficient balistique. Plus celui-ci est important,  plus l’objet va frotter dans l’atmosphère résiduelle, et plus il va perdre d’altitude à chaque orbite. A titre d’exemple, la différence d’altitude entre l’ISS et un débris type, en une orbite, est de l’ordre de 1 km.

Donc si l‘ISS est bombardée par un gros nuage de débris généré juste avant la collision, au tour d’après les débris seront vraisemblablement très dispersés dans le temps, typiquement de +/- 5 minutes, et leur grande majorité se trouvera significativement en dessous de la station. Il peut y avoir quelques impacts à ce second passage, mais certainement pas le nuage observé dans le film.

C’est important, car cela souligne la vraie nature du syndrome de Kessler. Non seulement on ne sait pas encore s’il est avéré, de nombreuses actions au niveau international visant à le vérifier, mais de plus il s’agit d’un phénomène à très longue échéance. Aujourd’hui, d’après les nombreuses études sur le sujet, on estime que la probabilité de perte d’un satellite placé sur une orbite bien encombrée est de l’ordre de 5% sur sa durée de vie ; c’est beaucoup, mais sans doute encore acceptable. Cela pourrait ne plus l’être dans 50, 100 voire 200 ans suivant les hypothèses, mais ce n’est certainement pas une question de quelques mois ou années. Einstein avait coutume de dire « il n’y a rien qui me fasse autant peur que l’exponentielle », mais il faut se souvenir que l’exponentielle démarre de façon quasiment plate… Irréversible certes, mais avec une constante de temps très élevée. La prolifération des débris est un vrai problème que nous avons peut être pris en compte à temps, pour une fois.

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