Maladie de Creutzfeldt-Jakob : une transmission par le sang est possible

Maladie de Creutzfeldt-Jakob : une transmission par le sang est possible

Pour la première fois, des chercheurs ont montré que le sang de patients atteints de la forme sporadique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob peut transmettre des agents infectieux.

La maladie de Creutzfeldt-Jakob est transmissible par le sang. C’est ce que confirme une étude dirigée par Olivier Andreoletti, menée à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (UMR Interactions hôtes-agents pathogènes, INRA-ENVT). La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une maladie neurodégénérative rare (un cas sur un million par an dans le monde) causée par des protéines infectieuses nommées prions. Les prions sont des versions mal repliées de protéines nommées PrP, naturellement présentes à la surface des neurones. Ils entraînent de proche en proche le repliement incorrect des protéines PrP normales et leur agglutination, formant des agrégats qui détruisent peu à peu le cerveau.

Il existe plusieurs formes de la maladie : la forme sporadique, d’origine inconnue, représente 85 à 90 pour cent des cas recensés ; la forme familiale, liée à une mutation génétique, est responsable de cinq à dix pour cent des cas ; la forme iatrogène, due à la transmission accidentelle de l’agent infectieux (instruments de chirurgie contaminés, greffe de cornée ou de dure-mère, administration d’hormones de croissance obtenues à partir d’hypophyses humaines), concerne moins de cinq pour cent des cas. À côté de ces formes classiques, une nouvelle variante de la maladie, notée vMCJ, a été identifiée en 1996 ; elle est causée par l’exposition – sans doute via l’alimentation – au prion responsable de l’encéphalite spongiforme bovine, ou « maladie de la vache folle ».

Les prions sont principalement détectés dans le cerveau, autour des neurones. Toutefois, le risque de transmission de la maladie par le sang a été envisagé dès les années 1990, en particulier depuis l’identification, en 1996, du premier cas de la variante vMCJ chez l’homme. À partir de 2003, notamment, ont été rapportés au Royaume-Uni cinq cas hautement probables de patients qui auraient contracté la variante vMCJ par transfusion de produits issus de sang humain – les donneurs ayant été diagnostiqués ultérieurement comme atteints de cette forme de la maladie. Pour l’heure, cependant, les prions restent indétectables dans le sang de façon directe.

Afin de faciliter leur détection, O. Andreoletti et ses collègues ont travaillé avec des souris modèles, génétiquement modifiées pour surexprimer la protéine PrP humaine qui se transforme en prion lors de la maladie. Ils ont injecté des fractions sanguines de cinq patients atteints de la maladie dans le cerveau de ces souris et recherché l’apparition de prions. Sur quatre patients atteints de la forme sporadique, deux ont déclenché, vialeurs fractions sanguines, la maladie chez quelques souris. C’était aussi le cas pour le cinquième patient, atteint de la variante vMCJ. En revanche, les souris contrôles, auxquelles on avait injecté des fractions sanguines de patients sains, sont restées saines.

Ce n’est pas tant le résultat sur la variante vMCJ qui est nouveau ici. Des études antérieures avaient déjà montré une transmission de cette forme par injection intracrânienne de fractions sanguines d’un patient atteint, chez le primate de Madagascar (microcèbe) et par voie intraveineuse chez le mouton. La nouveauté concerne ici la forme sporadique de la maladie, pour laquelle la transmissibilité par le sang est démontrée pour la première fois dans un modèle expérimental.

« Il s’agit d’une donnée importante, explique Joliette Coste, directrice scientifique de l’Établissement français du sang de Pyrénées-Méditerranée. Les conditions expérimentales restent cependant très éloignées des situations concrètes de la transfusion : le sang utilisé provient de patients soit décédés de la maladie, soit prélevés au stade clinique, et qui ne correspondent pas à la population des donneurs de sang en bonne santé. De plus, les transmissions ont été réalisées par voie intracrânienne et les tests ont été effectués avec des fractions sanguines complètes, alors que le sang collecté pour les transfusions est traité pour limiter le risque de transmission de la maladie : les globules blancs, qui portent aussi la protéine prion, sont systématiquement éliminés des produits sanguins (leucoréduction). (Ce n’était pas le cas du sang transfusé aux cinq patients qui ont contracté la variante de la maladie au Royaume-Uni.) »

La méthode utilisée par l’équipe d’O. Andreoletti est un test réalisé chez l’animal. L’objectif de la recherche internationale est de mettre au point un test de dépistage dans le sang de la forme sporadique et de la variante vMCJ, afin de détecter d’éventuels porteurs asymptomatiques de l’agent infectieux (pour que leur don de sang puisse être écarté de la chaîne de préparation des produits sanguins) et d’estimer le risque éventuel de transmission secondaire par transfusion. Le développement d’un tel test représente un défi, car on ne sait toujours pas si le prion est le marqueur de choix pour poser le diagnostic, ni quel niveau de sensibilité le test doit atteindre pour une telle détection.

Aujourd’hui, trois tests pour la variante de la maladie sont à un stade de développement avancé, dont un développé par une équipe de l’Établissement français du sang. Les trois tests permettent de détecter le prion soit dans des prélèvements de sujets infectés par la variante vMCJ en phase clinique, soit au stade préclinique sur des sangs contaminés d’animaux.

En parallèle, des mesures ont été prises dès les années 1990 pour limiter les risques de contamination du sang collecté pour les transfusions. Ainsi, en France, à partir de 1992, l’Établissement français du sang a exclu du don les sujets ayant un risque de développer une « forme classique » de la maladie (antécédents familiaux, neurochirurgie, traitement par hormones issues d’hypophyses humaines, greffe de cornée ou de dure-mère). Ces mesures ont été durcies par la suite avec l’émergence de la variante vMCJ de la maladie :

  • 1996 : Rappel et retrait des produits dérivés du sang (concentrés de globules rouges, plaquettes, plasma) contenant le don d’un donneur ayant présenté ultérieurement une maladie de Creutzfeldt-Jakob.
  • 1997 : Exclusion des donneurs antérieurement transfusés.
  • 1998 : Leucoréduction des produits dérivés du sang.
  • 2001 : Exclusion des donneurs ayant séjourné dans les îles Britanniques un an cumulé entre 1980 et 1996.
  • 2002 : Leucoréduction de tous les plasmas.

À ce jour, aucun cas de transmission de la forme sporadique par transfusion de produits dérivés du sang ou par médicaments dérivés du sang n’a été rapporté dans le monde. Quant à l’épidémie de la variante vMCJ, elle est sur le déclin : en France, après un pic de six nouveaux cas par an en 2005 et 2006, on compte deux nouveaux cas en 2012 après trois ans sans cas rapporté (soit 27 cas rapportés au total). Et contrairement au Royaume-Uni, aucun cas de transmission transfusionnelle de la variante n’y a été signalé.

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