C’est le phénomène météorologique le plus célèbre et le plus impressionnant de tout le système solaire : un anticyclone gigantesque, qui tourne inlassablement, là-bas, dans les nuages de Jupiter, et que les astronomes ont baptisé la Grande Tache rouge. Découverte à la fin du XIX e siècle, à l’époque bénie où les astronomes exploraient les terrae incognitae du système solaire avec des lunettes géantes, la Grande Tache rouge existe peut-être en réalité depuis plus de trois siècles : elle a été retrouvée sur des dessins de Jean-Dominique Cassini datant de 1665. Un anticyclone perdurant 350 ans durant ? Oui, apparemment, c’est possible, sur cet « astre-tempête » qu’est la plus grande des planètes du système solaire. Jupiter, en effet, est un monde essentiellement fluide, dix fois plus grand et plus de trois cents fois plus massif que la Terre, quoique peu dense : sa masse volumique est de 1,3. Jupiter est recouvert d’une atmosphère, constituée principalement d’hydrogène et d’hélium, qui circule en bandes nuageuses parallèles, turbulentes et furieuses, guidées par la vitesse de rotation énorme de la planète sur elle-même : un jour, sur Jupiter, dure moins de dix heures… Pas étonnant, à ce rythme, que la planète soit elliptique, et non sphérique.
Et, enfin, dans ce chaos de nuages, domine la Grande Tache rouge. C’est un anticyclone, un système de hautes pressions en rotation, quand les cyclones sont des formations atmosphériques de basses pressions. Si nous pouvions survoler Jupiter de près, nous verrions ce gigantesque système nuageux culminer dix mille mètres au dessus de la couche nuageuse principale de la planète géante. Les vents y soufflent à environ 500 kilomètres-heure, et l’ensemble tourne lentement sur lui-même en six jours environ, soit près de deux semaines joviennes… Elle est rouge, parce que dans les années 1880, la Grande Tache rouge avait effectivement cette teinte assez prononcée, mais qui a changé par la suite, au gré des variations saisonnières, rouge, brune, rosée, saumon, grise… Grise, saumon, rosée, brune, rouge…
A quoi est due cette couleur changeante de la Tache ? Le rouge intense pourrait provenir d’éléments chimiques comme le phosphore ou le soufre, et se sont peut-être les passages de nuages de composition différentes qui expliquent ses variations de couleur au fil des décennies.
Ce gigantesque maelström, en tout cas, est tellement grand que les astronomes amateurs parvenaient, dans les années 1980, à l’observer avec des longues-vues de 50 millimètres de diamètre, grossissant 30 fois, l’auteur de ces lignes s’en souvient encore !
Mais cela, c’était avant. L’adjectif « grande » disparaît peu à peu des articles scientifiques concernant la Tache rouge de Jupiter, car celle-ci ne cesse de diminuer…
En près de cent cinquante ans, notre regard sur Jupiter a bien changé… Mais la Grande Tache rouge a toujours fait partie de ce paysage planétaire. Une certitude : au fil des décennies, la taille de l’anticyclone géant diminue. Photos DR/OMP/Nasa/ESA/STSCI.
Lorsque les astronomes l’ont découverte, en 1878, elle mesurait plus de 40 000 kilomètres, puis, progressivement et insensiblement, elle a diminué de taille… Ces dernières années, le phénomène, observé par des astronomes amateurs dotés de moyens dont auraient rêvé les professionnels il y a un quart de siècle, est devenu tellement visible qu’ils ont alerté les spécialistes. La réponse a été à la hauteur de cette question historique : la Grande Tache rouge va t-elle disparaître ? Une réponse, donc, radicale, puisque les planétologues ont obtenu du temps d’observation avec le télescope spatial Hubble pour observer Jupiter. Verdict : la Tache rouge de Jupiter mesure désormais à peine plus de 15 000 kilomètres !
Sur ces deux images prises par le télescope spatial Hubble, la diminution de taille de la Grande Tache rouge, en moins de vingt ans, est spectaculaire. Photo Nasa/ESA/STSCI.
L’anticyclone le plus stable du système solaire va t-il disparaître ? Va t-il diminuer encore d’importance ? Personne n’en sait rien. Désormais, les astronomes, amateurs comme professionnels, attendent que Jupiter soit de nouveau observable, après sa disparition annuelle derrière le Soleil. La planète géante, qui brille actuellement dans la constellation des Gémeaux, est pratiquement inobservable dans les télescopes parce que trop proche de l’horizon ; de fait, elle va se perdre dans les lueurs du couchant à la fin juin. Quand Jupiter sera de nouveau visible dans la constellation du Cancer à l’automne prochain, nous saurons peut-être si les « Monsieur Météo » du système solaire, dans le futur, pourront, ou non, continuer à nous donner des nouvelles de ce formidable anticyclone qui perdure sur Jupiter depuis trois cent cinquante ans… au moins.