Chez l’homme, on estime que 60 pour cent des gènes codant les récepteurs olfactifs ne sont plus fonctionnels. Sommes-nous pour autant de piètres « senteurs » ? Une étude menée à l’Université Rockefeller, à New York, par Andreas Keller et ses collègues suggère le contraire : la plupart d’entre nous seraient capables de discriminer plus de mille milliards d’odeurs !
Une odeur naturelle résulte en général d’un cocktail de molécules – plusieurs centaines pour une rose. Ces molécules se fixent sur des récepteurs membranaires présents sur les neurones des muqueuses olfactives, qui tapissent l’intérieur du nez (l’homme possède environ 350 types de récepteurs différents, contre 1 300 chez le rat). En réponse, les neurones des muqueuses envoient des influx nerveux vers le bulbe olfactif, puis vers diverses aires cérébrales.
Pour quantifier la résolution de notre système olfactif, les neurobiologistes ont sélectionné 128 molécules odorantes et ont effectué des mélanges de 10, 20 ou 30 molécules en quantités égales. Il existe un nombre faramineux de combinaisons possibles : plus de 1029 avec 30 molécules. Les mélanges élaborés se recouvraient partiellement, ayant un certain nombre de molécules en commun. Plusieurs centaines de ces mélanges ont alors été soumis, deux par deux, à 28 adultes, qui devaient les sentir et tenter de distinguer leurs odeurs. Les chercheurs ont ainsi pu déterminer le degré de différence nécessaire pour que deux mélanges puissent être reconnus comme distincts, et en déduire le nombre de mélanges assez différents pour pouvoir être distingués.
Les résultats dépendent des mélanges et des individus. Ainsi, la moitié des sujets testés distinguent au moins les mélanges ayant moins de 75 pour cent de composés en commun. Au-delà de 90 pour cent de recouvrement, personne ne fait la différence. Par une analyse statistique et divers traitements mathématiques, ils ont déduit de ces résultats que la plupart des gens sont capables de discriminer plus de 1 000 milliards (1,7 x 1012) de mélanges différents. L’expérience confirme cependant que la sensibilité olfactive est très variable : l’estimation du nombre d’odeurs discriminables par chacun des volontaires varie d’un facteur 1020 (de 108 à 1028) !
Cette nouvelle estimation de la résolution olfactive est supérieure de plusieurs ordres de grandeur aux précédentes, qui évoquaient environ 10 000 odeurs distinguables. Et ce n’est qu’une borne inférieure : il existe bien plus de molécules odorantes que les 128 sélectionnées et bien plus de mélanges possibles que ceux comportant 10, 20 ou 30 molécules. En outre, des mélanges comprenant des composés identiques mais en concentrations différentes donnent des odeurs différentes.
Cette estimation est aussi très supérieure à celle de la résolution de nos systèmes visuel et auditif : nous pouvons discriminer plusieurs millions de couleurs et environ 500 000 intervalles de tonalité. Cependant, la comparaison est difficile : une couleur et un ton peuvent être associés à un paramètre simple, une fréquence (respectivement d’une onde électromagnétique et d’une onde de pression), ce qui n’est pas le cas d’une odeur. Quoi qu’il en soit, l’odorat ne semble pas être le parent pauvre de notre système sensoriel, contrairement à ce que l’on a longtemps cru.
SC Info