Procès gouvernement TIAO 3:« Il est normal que Blaise Compaoré ou ses ministres puissent déceler les failles de la justice »

Le Docteur Sanwé Médard Kiénou, enseignant chercheur à l’université Nazi Boni de Bobo

Le procès de gouvernement TIAO 3 fait l’objet d’une attention particulière depuis quelques temps avec des rebondissements dignes d’un film policier. Pourquoi tout cela ? Le Docteur Sanwé Médard Kiénou, enseignant chercheur à l’université Nazi Boni de Bobo nous éclaire.

 Quelle appréciation pouvez-vous faire de la situation actuelle de la justice au Burkina Faso ?

La justice au Burkina Faso a fait l’objet de certaines évolutions dans le cadre des différentes révisions de la constitution et des lois organiques qui ont été adoptées sous la transition. Il y a beaucoup de dispositions qui essaient de renforcer l’indépendance de la magistrature, mais du point de vue de la perception populaire, on  connait les doutes du citoyen lamda relativement à l’indépendance de la justice et à la proximité entre la justice et le justiciable. Il y a encore du travail à faire pour créer la confiance entre les citoyens et la justice.

Concernant le gouvernement TIAO 3 et son procès, pouvait-on s’attendre aux rebondissements qu’on voit actuellement ?

De façon assez naïve on pourrait dire que le droit burkinabè n’a pas évolué en matière pénale  depuis le régime Compaoré. Les lois actuelles ont été adoptées sous le régime Compaoré. Il peut sembler un peu malencontreux que certaines personnes qui ont participé à l’adoption de ces dispositions invoquent aujourd’hui leur inconstitutionnalité ou leur non-conformité au droit international et aux droits de l’homme. Mais dans un certain sens oui. Parce qu’ils ont contrairement au citoyen lamda, les moyens de s’entourer des meilleurs avocats possibles et donc de défendre au mieux leurs droits.  C’est bien sûr un procès pénal mais qui a beaucoup d’implications politiques. Ces rebondissements ne peuvent pas surprendre de ce point de vue là.

Ce que veut faire la Haute Cour de justice est-il respectueux de la loi ?

Il y a plusieurs questions qui ont été soulevées devant la Haute Cour de Justice avec les reports. C’était pleinement justifié en droit et en faits. Maintenant, il y a plusieurs questions qui ont été soulevées devant la Haute Cour de Justice. D’abord dans le cadre d’une procédure en contumace, est ce que la personne a le droit d’être représentée par son avocat ? La Haute Cour de justice a répondu par la négative au nom du code de procédure pénale Burkinabè qui date de 1968. La position de la Haute Cour de Justice se défend au regard du code de procédure pénale. Mais elle n’a pas pris en compte le fait que le droit Burkinabé a évolué depuis 1968. En effet, le Burkina a ratifié un certain nombre de conventions internationales en matière de droits de l’homme. Le Burkina a même constitutionnalisé des dispositions internationales relatives aux droits de l’homme. Ces dispositions auraient dues être prises en compte par la Haute Cour de Justice ou à défaut, elle aurait dû permettre aux accusés de pouvoir saisir le conseil constitutionnel pour qu’il puisse statuer sur ce point précis. Notre code de procédure est inspiré à bien des égards du code de procédure pénale français et la disposition qui est actuellement critiquée a été en vigueur en France jusqu’en 2004 où elle a été condamnée par la cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Krombach pour ne pas avoir permis a monsieur Krombach qui n’était pas présent d’être défendu par un avocat. Et le Burkina Faso pourrait être condamné pour les mêmes raisons. La Haute Cour aurait dû permettre aux différents accusés de saisir le conseil constitutionnel par la voix d’exception.

Les accusés absents peuvent-ils être jugés ?

Les accusés absents peuvent être jugés de mon point de vue, à condition que la Haute Cour leur permette d’être représentés par un avocat. Si ce n’est pas le cas ce sera difficile de leur dire qu’on a affaire à justice indépendante et impartiale.

Est-il normal de vouloir remplacer les avocats qui s’étaient déjà présentés à la cour ?

Si l’avocat est sûr qu’il n’est plus en mesure de défendre son client il est normal qu’il puisse être remplacé. Maintenant les arguments évoqués par ces avocats interpellent à bien des égards. Le premier, le  fait qu’on ne leur à pas permis de saisir le conseil constitutionnel relativement à la question du double degré de juridiction. Il se trouve qu’à ce niveau la Haute Cour de justice à estimé qu’on n’avait pas à saisir le conseil constitutionnel parce qu’il s’était déjà prononcé sur la constitutionnalité de la loi organique avant l’entrée en vigueur de cette loi (le contrôle à priori). Le conseil constitutionnel a examiné la conformité de la loi organique relative à la Haute Cour de justice à la constitution avant que cette loi organique n’entre en vigueur et elle a estimé qu’elle était constitutionnelle. Donc la loi organique est conforme à la constitution.

En matière pénale, la loi est-elle rétroactive ?

L’un des arguments avancés par les avocats c’est que le principe de non rétroactivité n’est pas respecté en espèce parce que certaines dispositions relatives à l’organisation et au fonctionnement de la Haute Cour de justice avaient été modifiées après l’insurrection, donc après la commission des faits. Le principe de non rétroactivité est un principe très important en matière pénale mais il faut préciser qu’il n’est valable que relativement à la détermination des délits et des peines, relativement à l’organisation judiciaire et ces règles sont d’application immédiate. Donc le principe de rétroactivité ne peut pas les concerner.

 L’un des avocats de Blaise Compaoré parle des normes internationales et de leurs non respect par la Haute Cour de justice. Qu’en est-il ?

Depuis 1968 le Burkina a adopté beaucoup d’instruments internationaux de droits de l’homme aussi bien à l’échelle régionale qu’à l’échelle universelle. Il a même constitutionnalisé certains d’entre eux, notamment la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, la déclaration universelle des droits de l’homme qui sont considérés comme ayant une valeur constitutionnelle au Burkina Faso. Il est clair que les juges Burkinabè ont obligation de prendre en compte ces instruments internationaux dans le cadre des procédures civiles et pénales. En droit burkinabè lorsqu’un traité confère des droits directs et précis aux individus, le juge peut directement les invoquer et les appliquer. Le juge burkinabè a l’obligation de les prendre en compte même si cela ne se trouve pas dans les codes de procédures et même si le code de procédure pénale burkinabè est en contradiction avec ces discussions. La constitution burkinabè dit que les traités et conventions régulièrement ratifiés doivent l’emporter sur les dispositions ayant valeur de loi. De ce point de vue, l’avocat de Blaise Compaoré a tout à fait raison.  On peut seulement regretter ses propos condescendants à l’égard du Burkina Faso parce qu’il oublie que la disposition qu’il conteste a aussi été en vigueur en France jusqu’en 2004.

N’est ce pas une porte ouverte pour exploiter les failles de la justice ?

Oui, c’est une porte ouverte. Mais il y a un principe très important en matière de procédure pénale et aussi en matière de droit international. Et ce principe dit « justice must not be only done. It must be still to be done ». La justice ne doit pas seulement être rendue. Elle doit apparaître comme bien rendue. Il est normal que Blaise Compaoré ou ses ministres puissent déceler ces failles. Cela permettra d’améliorer le système judiciaire burkinabè et ce n’est pas seulement ces personnes qui vont en bénéficier, tout justiciable pourra par la suite invoquer les mêmes dispositions.

Propos recueillis par Nicole A.B. OUEDRAOGO (Collaboratrice)

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