La planète Mars fait rêver l’humanité depuis près de quatre siècles ; depuis que, armés de ces « longues lunettes à faire peur aux gens » qu’évoque Molière, les astronomes du XVIII e siècle ont découvert que la planète rouge était une lointaine cousine de la planète bleue… Aujourd’hui même, Mars est étudiée sous toutes les coutures par trois satellites installés autour d’elle, Mars Odyssey 2001, Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter. A sa surface, à quelques milliers de kilomètres l’un de l’autre, deux rovers mobiles, Opportunity et Curiosity, photographient ses paysages, étudient sa météorologie, sa géologie… Les astronautes, aussi, rêvent de Mars depuis presque un demi-siècle. Une fois la Lune abandonnée, en 1972, les plus optimistes ont commencé à rêver au voyage vers Mars pour 1980, puis 1990, 2000, 2010, 2020… Ces fantasmes ne se sont évidemment jamais réalisés, tout simplement parce que Mars est mille fois plus lointaine que la Lune et son champ d’attraction plus de deux fois plus intense : la technologie n’existe pas pour envoyer un équipage vers Mars et le ramener sur Terre. Bien sûr, la Nasa, parce que ce programme de SF fait rêver, continue, décennie après décennie, à le projeter dans l’avenir mais la réalité crue, c’est que le financement pour un projet aussi pharaonique – quelques centaines de milliards de dollars – n’existe pas et que le complexe train spatial qui permettrait d’effectuer ce voyage n’est aujourd’hui qu’une vague esquisse sur la planche à dessin…
Dans ce contexte réaliste mais oh combien déprimant pour les amoureux de la planète rouge, le programme Mars One a de quoi redonner le sourire… Le sourire à ceux qui sont prêts à croire à ce projet parfaitement loufoque, le sourire à ceux qui « l’analysent »… De quoi s’agit-il ? Eh bien, tout simplement, et rien de moins… que de créer une colonie humaine sur Mars… Cela n’a rien d’incongru, pourrait objecter le lecteur, lorsqu’on songe que les agences spatiales les plus sérieuses, comme la Nasa ou l’ESA, envisagent, un jour, d’envoyer des astronautes sur Mars. Certes, mais il est d’usage, à la Nasa et sauf accident, de ramener ses astronautes vivants sur Terre… L’idée – amusante, il faut bien le reconnaître – de l’équipe de Mars One consiste à faire l’économie du voyage retour ! En effet, échapper au champ gravitationnel martien (0,365 fois la pesanteur terrestre) est un formidable défi technique. Donc Mars One cherche des « émigrants » désireux de s’installer, jusqu’à la fin de leurs jours, sur la planète Mars. Comme nous allons le voir, les critères de sélection de la société de voyage martienne sont précis, techniques, draconiens, impitoyables : « Les astronautes doivent être intelligents, créatifs, psychologiquement stables et en bonne santé physique » peut-on lire sur le site internet de Mars One. La question de savoir à quel point un candidat prêt à s’enterrer sous le plus désertique et monotone des déserts jusqu’à la fin de ses jours pour ne pas griller sous l’effet des radiations cosmiques est « intelligent et psychologiquement stable » n’est pas débattue. Le « sérieux » de la société Mars One peut-être, par ailleurs, mesuré à l’aune de son plan de programmation : sur son site internet, l’équipe annonce l’envoi du premier équipage en 2023, pour… six milliards de dollars ! Pour mémoire, un robot comme Curiosity a coûté plus de deux milliards de dollars et le retour sur la Lune (avorté) de George Bush était estimé à 200 milliards… Bien entendu, rien n’est crédible dans ce projet parfaitement loufoque : on ne dispose pas de modules habités pour effectuer le voyage martien (six mois en apesanteur…), on ne dispose pas de modules habitables à installer sur place, on ne sait pas dans quel état arriveraient les astronautes, comment ils pourraient s’adapter à la faible gravité martienne, comment ils pourraient se protéger des radiations solaires et cosmiques une fois installés là-haut… En clair, si le projet Mars One se concrétisait, il enverrait tout simplement ses enthousiastes cobayes à une mort plus ou moins rapide mais certaine.
Reste une question : si ce projet est absurde, pourquoi quelques sponsors le soutiennent-ils ? La réponse est dans les lignes que vous lisez : on en parle. L’espace fait rêver, le site internet de Mars One fait (presque) sérieux, des médias, dans le monde entier, ont évoqué ce projet consistant à installer sur Mars la première colonie humaine… Comment les blâmer, quand les agences internationales, depuis des décennies, font de même, en annonçant des programmes (retour sur la Lune, voyage vers Mars, engins hypersoniques) qui ne dépassent jamais le stade du communiqué de presse ? De fait, s’ils sont de bien piètres ingénieurs astronautiques, les boss de Mars One sont peut-être de très bons businessmen. Ils ont, entre autres, compris la leçon de Richard Branson, le très médiatique patron de Virgin Galactic, qui a ces dernières années accompli l’exploit de drainer des sommes considérables en ne faisant pas voler son lanceur spatial touristique SpaceShipTwo. Nous allons fêter en 2014 le dixième anniversaire de ce juteux marché toujours virtuel. Mars One n’en est pas encore là : le SpaceShipTwo, même si il est toujours cloué au sol et est conçu pour faire rêver plutôt que de voler, existe bel et bien. Le programme Mars One, lui, demeurera imaginaire, mais vous pouvez participer à l’enrichissement de ses promoteurs en effectuant de généreuses donations ou en achetant sur le site internet du voyagiste martien des mugs, t-shirts et posters.
ANDRE BURLO