UN LAPIN DE JADE PERDU DANS LA NUIT LUNAIRE

Rarement on aura attendu avec autant de curiosité un lever de Soleil sur la Lune. En Chine, surtout, où l’odyssée du petit « lapin de jade » sur la Lune est suivie et commentée avec passion sur les réseaux sociaux. Le lapin de jade, c’est le robot mobile Yutu, déposé le 14 décembre dernier dans le golfe des Iris, en bordure de la mer des Pluies, par la sonde Chang’3, la déesse lunaire de la mythologie chinoise.

Chang’3 est l’un des éléments d’un très ambitieux projet spatial, visant à poser un jour, peut-être, des astronautes chinois sur la Lune. Quant à Yutu, il s’agit d’un démonstrateur technologique, conçu pour tester les capacités des ingénieurs à poser et faire évoluer un module sur la Lune, étape nécessaire avant un retour d’échantillons lunaire, puis, mais on en est pas là, à envoyer des hommes sur le satellite de la Terre et les ramener vivants sur leur planète.
Au début, pour Chang’3, tout a bien commencé. Parfait l’alunissage, parfaite la libération du robot mobile, parfaites les images de la Lune – quoique un peu fades, comparées à celles prises dans des régions lunaires bien plus spectaculaires par les astronautes du programme Apollo.
Un succès, accompagné d’une campagne de communication digne de celles de la Nasa.
Arrivés sur la Lune en plein jour, le 14 décembre, donc, Chang’3 et Yutu ont fonctionné sans encombre jusqu’au coucher du Soleil, qui est intervenu dans la mer des Pluies le 27 décembre. A cette date, les engins, alimentés par des panneaux solaires, ont du se mettre en « hibernation », en se protégeant du froid spatial de la surface lunaire. Puis, deux semaines après, au lever du Soleil, le 13 janvier, ils ont été « réveillés » et ont repris leurs opérations. Mais, avant la seconde nuit lunaire, qui a débuté le 26 janvier, de la « déesse lunaire » et de son « lapin de jade », les ennuis ont commencé. Plus de caméra couleur sur Chang’3, d’abord, puis dysfonctionnement de Yutu. Celui-ci, pour se protéger du froid nocturne, aurait du replier ses panneaux solaires, il semblerait que cette opération n’ait pas été réalisée par le robot.

Un demi-siècle après les Soviétiques et les Américains, les Chinois arpentent aujourd'hui la surface lunaire avec leur robot mobile Yutu, photographié ici par le module d'atterrissage Chang'e 3. Photo CNSA.

Un demi-siècle après les Soviétiques et les Américains, les Chinois arpentent aujourd’hui la surface lunaire avec leur robot mobile Yutu, photographié ici par le module d’atterrissage Chang’e 3. Photo CNSA.

De fait, désormais, tout le monde attend le lever de Soleil sur Chang’3 et Yutu pour savoir si le petit lapin de jade aura survécu. Le contact avec les sondes spatiales devrait être repris le 8 ou 9 février, quand le Soleil brillera de nouveau sur le golfe des Iris.
Pendant que les Chinois s’inquiétaient du bon état de leur robot lunaire après seulement un mois passé sur la Lune, les Américains de leur côté, fêtaient les… dix ans d’exploration de la planète Mars par leur robot Opportunity !
Ce décalage en fiabilité apparente des sondes chinoise et américaine pourrait prêter à sourire, mais regardons de plus près… Paradoxalement, les conditions martiennes sont beaucoup plus clémentes que celles de l’environnement lunaire. Elles sont quasi terrestres : sur Mars, comme sur Terre, la journée est de 24 heures. Sur Mars, comme sur Terre, la couverture atmosphérique protège les sondes : les sondes martiennes doivent affronter des températures maximales de l’ordre de + 10 °C et des températures minimales de l’ordre de -90 °C. Sur la Lune, Yutu supporte des températures de + 120 °C à -180 °C !
Si la Lune est un monde hostile, que penser alors de Vénus ? Les sondes soviétiques Venera 13 et 14 ont supporté les 450 °C de la surface vénusienne entre une et deux heures seulement ! Quant à l’européenne Huygens, elle a transmis des informations depuis Titan, par -180 °C de température, pendant… deux heures. Rien de déshonorant, donc, à ce que Yutu batte de l’aile, si l’on peut dire à propos d’un lapin, après un mois de travail. D’ailleurs, l’avis de décès de Yutu n’est pas publié. Le 9 février, nous saurons si le lapin de jade est toujours vivant… Au fond, cette question est académique. Ni Yutu ni Chang’3 n’apporteront la moindre information scientifique décisive sur la Lune, quand des dizaines de sondes spatiales américaines et soviétiques, sans compter les six missions Apollo, ont exploré le satellite de la Terre de fond en comble, voici un demi siècle. Sans évoquer les missions contemporaines, chinoises, européennes, américaines, indiennes…
Mais pour la Chine, la mission Chang’3 est déjà un immense succès. Son lapin de jade est célèbre dans le monde entier, et chacun sait désormais que les sondes et astronautes chinois volent maintenant dans le sillage des astronautes de la Nasa.
Mais les déboires de Yutu rappelleront peut-être aussi aux ingénieurs chinois que la conquête spatiale n’est pas un long fleuve céleste tranquille. Soviétiques et Américains ont payé un lourd tribut à l’espace, il s’en souviennent.

SCInfo

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