C’était le 17 mars 2014, et la nouvelle avait fait le tour du monde à la vitesse de la lumière, ou presque… Depuis leur lointain et quasi extraterrestre observatoire de la base Amundsen-Scott, située au Pôle Sud, les astronomes, pour l’essentiel américains, de l’équipe Bicep2 de John Kovac avaient observé… les ondes gravitationnelles primordiales ! Une découverte considérée avec raison comme l’une des plus importantes de ces dernières décennies, puisqu’elle concernait tout à la fois l’infiniment grand et l’infiniment petit et, pour la toute première fois depuis presque un siècle, semblait pouvoir promettre le mariage entre les deux grandes théories de la physique, irréductibles jusqu’ici : la mécanique quantique et la relativité générale.
Reprenons : à l’aide d’un télescope de seulement 30 centimètres de diamètre, c’est à dire un instrument de la puissance d’un télescope d’amateur, équipé d’un récepteur millimétrique extrêmement sensible, et sous le ciel le plus transparent de la planète, l’équipe de Bicep2 avait annoncé avoir détecté d’infimes variations (appelées polarisation de mode B) dans le rayonnement de fond cosmologique, variations interprétées comme la signature de l’émission d’ondes gravitationnelles primordiales – les déformations de l’espace-temps. En vrac et en quelques mots, cette découverte permettait pour la première fois de « contempler » l’Univers moins d’un milliardième de milliardième de seconde après le big bang, de prouver l’existence des ondes gravitationnelles prévues par la relativité générale d’Einstein, de réconcilier cette théorie de l’infiniment grand avec sa théorie concurrente dans l’infiniment petit, la mécanique quantique, et enfin, de prouver l’existence d’un mécanisme mystérieux mais fondateur du modèle cosmologique actuel, l’inflation…
Après une telle avalanche, pas de doute : le Prix Nobel de physique ne pouvait pas échapper à l’équipe de John Kovac.
Sauf que… Depuis quelques semaines, les couloirs, les cafétérias et les coupoles des observatoires résonnent de bruits et de rumeurs mettant en cause la découverte des ondes gravitationnelles par l’équipe de Bicep2… En cause ? L’utilisation par l’équipe de données du satellite européen Planck, données permettant d’affiner la contribution, dans l’image obtenue par Bicep2, du rayonnement de fond cosmologique – le vestige le plus ancien du big bang, où l’on cherche donc les fameuses ondes gravitationnelles primordiales – par rapport au rayonnement des galaxies situées entre le big bang et nous, au rayonnement du gaz intergalactique, au rayonnement du gaz interstellaire situé dans la Voie lactée, au rayonnement de la poussière interplanétaire situé dans le système solaire, etc… Ces contributions successives et stratifiées, Planck est justement conçu pour les mesurer avec une précision extrême. Sauf que l’équipe européenne a prévu de livrer ses propres conclusions concernant le rayonnement cosmologique et une possible observation du fameux rayonnement gravitationnel primordial en octobre 2014…
L’équipe de Bicep2, pour pouvoir, la première, clamer sa découverte, aurait donc, selon ces rumeurs, utilisé des données de Planck « brutes », montrées durant des exposés scientifiques par l’équipe de Planck… En travaillant ainsi, « à la main » et disons-le, un peu « en amateurs », les astronomes américains se seraient trompés dans leur interprétation et auraient découverts, non pas le rayonnement gravitationnel primordial, mais le rayonnement très ténu du gaz interstellaire d’avant-plan… Après le big bang de la découverte, un très très gros flop…
On en est là aujourd’hui. D’un côté, l’équipe de Bicep2 qui continue à espérer avoir joué gros et gagné gros, de l’autre, l’équipe de Planck qui distille le doute mais demeure coite quant à ses propres mesures, et attend tranquillement le mois d’octobre 2014 pour les publier… Nous devrions donc en principe savoir si la découverte des ondes gravitationnelles est validée, ou non, en octobre. Si elle ne l’était pas, la déception serait à la mesure de l’enthousiasme initial. Dans ce blog, nous avions, avant d’annoncer la nouvelle, multiplié les pares-feux : « D’abord, la prudence. Avant la stupeur, l’enthousiasme, le vertige et les superlatifs, la circonspection : l’annonce faite ce lundi 17 mars 2014 par une équipe de scientifiques essentiellement américains doit-être vérifiée, confirmée, d’abord par leurs pairs, ensuite par de nouvelles analyses des données et enfin par de nouvelles observations » et un point d’interrogation prudent chapeautait le billet… Les découvertes extraordinaires exigent des preuves irréfutables. A la décharge des journalistes qui ont cru inconditionnellement à cette belle découverte, et l’ont annoncé telle quelle, sans aucune distance, les innombrables communiqués de presse, émis par tous les instituts ayant peu ou prou participé à celle-ci ne s’embarrassaient guère de conditionnels non plus.
Publié par Science et vie