C’est un vertigineux effet de perspective cosmique que la caméra de la sonde américaine Cassini a surpris tandis qu’elle scannait patiemment les anneaux de la planète Saturne. Car, visible en transparence à travers les anneaux diaphanes, exactement au centre de l’image ci-dessus, apparaît… la planète Vénus ! Pour comprendre et visualiser cet étrange alignement entre les deux planètes éloignées d’un peu plus de un milliard cinq cents millions de kilomètres, il faut tout d’abord savoir où se trouvait la sonde lorsqu’elle a pris ce spectaculaire cliché, le 10 novembre dernier : Cassini, située à 800 000 km de Saturne, regardait la planète aux anneaux à contre jour. Le Soleil était donc éclipsé par la planète… Les anneaux, diaphanes, composés de blocs de glace diffusant la lumière solaire dans toutes les directions, sont donc vus sur l’image ci-dessus en transparence, et si la planète, plongée dans la nuit, demeure faiblement visible, ainsi que les anneaux que l’on voit passer devant le globe, c’est qu’elle est très légèrement illuminée par le côté éclairé des anneaux…
Enfin, la lumière du Soleil est réfractée par la haute atmosphère de Saturne, et dessine autour de la planète une auréole brillante. La lecture de cette fantastique image peut paraître déroutante au premier regard. L’aspect des anneaux, en effet, change spectaculairement selon qu’on les observe éclairés de face par le Soleil ou en transparence…
La planète Saturne photographiée par le télescope spatial Hubble et par la sonde spatiale Cassini. Sur l’image de Hubble, Saturne est éclairée directement par le Soleil. Sur l’image de Cassini, la planète est vue à contre jour. Photos Nasa/STSCI/JPL/SSI.
Pour mieux comprendre, comparons deux photographies, l’une prise par le télescope spatial Hubble en éclairage « normal » c’est à dire direct, l’autre, prise par la sonde Cassini, à contre jour. Sur l’image de Hubble, ce sont les zones les plus denses qui réfléchissent le plus de lumière : l’anneau B, le plus dense, apparaît blanc et brillant. L’anneau A, vers l’extérieur, apparaît plus gris et pâle. Entre ces deux anneaux principaux, la célèbre division de Cassini, presque vide de matière, apparaît aussi noire que l’espace. Mais sur l’image prise à contre jour, tout change ! Les anneaux de Saturne révèlent des zones invisibles en éclairage normal. D’abord, à l’extérieur, très brillant sur l’image prise par Cassini mais invisible sur celle de Hubble, apparaît le très fin anneau F.
Puis, la division de Cassini, si spectaculaire sur les images habituelles, à tel point que les astronomes la photographient avec leurs petits télescopes, apparaît à contre jour comme une zone légèrement lumineuse ! Ce paradoxe n’est qu’apparent : la division n’est pas vraiment vide, et les particules de glace qui y circulent diffusent très bien, comme de la fumée par exemple, la lumière solaire. Enfin, l’anneau B, éclatant sur les images directes, apparaît très sombre sur les images rétroéclairées… En comparant ces images des anneaux de Saturne, on peut remarquer également que la zone intérieure (anneaux C et D), très sombre parce que presque vide lorsqu’elle est vue en éclairage direct, apparaît brillante sur les images rétroéclairées. Enfin, deux anneaux très faibles, G et E, invisibles sur les images de Hubble, sont remarquablement détaillés par la sonde Cassini.
La mission Cassini constitue l’un des plus grands succès de l’histoire de la conquête spatiale en général et de celle de la Nasa en particulier. La sonde américaine a quitté la Terre en 1997 et tourne autour de Saturne depuis 2004. Fonctionnant parfaitement, sa mission est régulièrement reconduite par l’agence spatiale américaine. Cassini a révolutionné notre regard sur le système de Saturne, qu’elle étudie littéralement sous tous les angles. La sonde nous a révélé la complexité des relations entre la soixantaine de satellites de Saturne et ses anneaux, la météorologie de la planète géante comme celle de son satellite Titan, le volcanisme de glace d’Encelade, les étranges paysages désertiques de Japet, Rhéa ou Mimas. La Nasa a programmé la fin de la mission Cassini pour 2017. Avant de plonger dans l’atmosphère de la planète géante et y être consumée, Cassini frôlera les anneaux à quelques milliers de kilomètres de distance seulement. Les images qu’elle prendra alors, révélant des détails de quelques mètres seulement, pourraient, pour la toute première fois, nous montrer les innombrables blocs de glace qui constituent les anneaux de Saturne. Une véritable apothéose pour les astronomes qui se rappelleront alors que l’anneau de Saturne a été découvert par Galilée, voici plus de quatre cents ans…
Serge Brunier
En arrière-plan des anneaux de Saturne, la planète Terre apparaît exactement au centre de cette image prise par la sonde américaine Cassini en septembre 2006. Photo Nasa/JPL/SSI.